• 2 physiciens français ont percé le secret de la dyslexie

    Deux chercheurs français ont enfin percé le secret de la dyslexie, un trouble qui affecte pas moins de 700 millions de personnes à travers le monde. Publiée dans la revue médicale The Royal Society, leur étude parvient à situer très précisément l’origine de la maladie : ce n’est pas dans le cerveau, mais dans les yeux qu’il faut chercher !

     

    Les taches de Maxwell

    Les auteurs de cette incroyable découverte sont deux scientifiques français : Albert Le Floch et Guy Ropars, physiciens à l’université de Rennes 1, ont accompli l’impensable à retraçant l’origine de la dyslexie. Plus de doute possible, le trouble de la lecture se niche dans nos yeux. Albert Le Floch explique : « Dans chaque œil, nous avons ce que l’on appelle une tâche de Maxwell, du nom d’un célèbre physicien du XIXème siècle » ; une tâche présente dans nos deux yeux qui bloque le passage de la lumière bleue. « Chez les gens non dyslexiques, ces taches ne sont pas les mêmes. Celle de l’œil directeur est parfaitement circulaire tandis que l’autre a plutôt une forme de patate diffuse. » Cette différence de taille entre la tâche de l’œil gauche et celle de l’œil droit est essentielle à l’apprentissage de la lecture : « Si par exemple vous regardez la lettre « b », votre œil directeur va parfaitement l’imprimer dans une partie de votre cerveau tandis qu’une image inversée fantôme, donc un « d », sera stockée dans une autre partie. Mais le cerveau ne tiendra pas compte de cette lettre fantôme. »

     

    Un espoir pour 700 millions de personnes

     

    Une question de symétrie

    Chez les personnes atteintes de dyslexie, les deux taches de Maxwell se révèlent parfaitement identiques, symétriques au millimètre près : « Ils n’ont donc pas d’œil droit ou gauche directeur et l’image fantôme de la lettre ne va pas s’effacer. » À la lecture de lettres miroirs – p/q et b/d – ou de lettres exprimant des sons proches – ch/j et d/t – les yeux transmettent au cerveau deux résultats au lieu d’un. Submergé par le surplus d’information, le cerveau ne sait plus quelle lettre est sélectionnée : c’est de cette confusion que naît la dyslexie. Afin d’étayer leur hypothèse, les deux physiciens ont mené leur étude sur une soixantaine d’étudiants : une moitié dyslexique et une seconde non-dyslexique. Le résultat est sans appel : chacune de leur observation confirmait un peu plus leurs soupçons. Cette découverte cruciale permettra une meilleure compréhension de la maladie et donc une nouvelle – peut-être meilleure – manière de traiter ce trouble de l’apprentissage : « Nous avons compris ce mécanisme et également mis au point un système de lampe de lecture qui permet de corriger cette anomalie. Nous espérons que ça pourra déboucher sur de nouvelles approches de traitement de la dyslexie. » La nature de la dyslexie relèverait donc davantage de l’optique que de la neurologie. Une découverte qui chamboule pas mal de certitudes et qui pose de vraies questions : pourrait-on imaginer une paire de lunettes correctrices pour la soigner ? Est-il possible de concevoir pareils verres, capables de pallier aux déformations des taches de Maxwell ?

     

    Un espoir pour 700 millions de personnes

     

    Article paru dans Daily Geek Show


    votre commentaire
  • Où l'on dégrade une œuvre d'art pour une bonne cause.

     

    1986, Hambourg. On inaugure une impressionnante tour de 12 mètres de haut en acier, recouverte d’une fine couche de plomb. Elle est nommée « Monument contre le fascisme ». Avec une telle hauteur, on devrait la voir de loin ! Pourtant, aujourd’hui, le monument n’est plus visible… Qu’est-il devenu ?

     

    Tu t'enfonces…

    Jochen Gerz et Esther Shalev-Gerz, Monument contre le fascisme, 1986, acier et plomb, 12 m de haut, Hambourg © ADAGP, Paris, 2017 Voir en grand

     

    En érigeant leur tour, les artistes Jochen Gerz et Esther Shalev-Gerz ont créé une œuvre interactive : le public est invité à participer. Grâce à des petits stylets, chacun peut graver son nom dans le plomb pour s’engager contre le fascisme. Cela rappelle les stèles des camps nazis, sur lesquelles étaient gravés les noms des personnes décédées. Si les inscriptions laissées par les passants sont pour la plupart des messages de paix, d’autres se révèlent bien plus inquiétantes : croix gammées, messages racistes et antisémites… Les artistes avaient prévu cela. Pour eux, le monument est aussi une incitation à rester vigilants : le fascisme n’est pas mort.

     

    Tu t'enfonces…

    Femme gravant un message sur le Monument contre le fascisme, 1986 © ADAGP, Paris, 2017

     

    Très vite, la partie basse de la tour (tout ce qui est à hauteur d’homme) est entièrement recouverte par les graffitis et signatures. Le couple d'artistes a pensé à tout ! La tour descend au fur et à mesure dans un puits, creusé juste sous l'emplacement du monument. Ainsi, les premières inscriptions sont conservées et laissent place nette aux nouveaux messages. Lentement, le monument est voué à disparaître.

     

    Tu t'enfonces…

    Le Monument contre le fascisme recouvert de graffitis, vers 1992 © ADAGP, Paris, 2017
    Voir en grand

     

    Sept ans plus tard, la tour s’est complètement enfoncée dans le sol. Aujourd’hui, on peut toujours en voir une petite partie, par une vitre. À la manière d’une capsule temporelle, le « Monument contre le fascisme » est enfoui, préservant le souvenir d’une époque encore douloureuse…

     

    Tu t'enfonces…

    Le Monument contre le fascisme en 1993 © ADAGP, Paris, 2017

     

    Tu t'enfonces…

     

    https://www.youtube.com/watch?v=MtKUpNC_FXU

     

    Article paru dans Artips

     


    votre commentaire
  • Où l'on apprend à relever un défi de cinq mètres de haut.

    En 1501, à Florence, se trouve un immense bloc de marbre qui effraie les sculpteurs. Il vient pourtant des carrières de Carrare, d’où l’on extrait un marbre magnifique.
    Depuis des années, plusieurs artistes de renom ont tenté de le sculpter mais ont jeté l’éponge. Pourquoi donc ? Ce bloc de cinq mètres est non seulement haut mais aussi très étroit.

     

    Un très gros caillou

    Hartmann Schedel, Vue de Florence, vers 1490, gravure sur bois. Détail de l'œuvre Voir en grand

     

    Surtout, il comporte une importante fissure qui rend quasiment impossible son utilisation, sous peine de fragiliser la future sculpture. Mais le célèbre Michel-Ange, alors âgé de 26 ans, compte bien relever le défi ! Il se met au travail et commence à dégager de la pierre le berger David, héros biblique qui vint à bout du gigantesque Goliath.

     

    Un très gros caillou

    Daniele da Volterra, Portrait de Michel-Ange à l'âge de 69 ans, vers 1544, huile sur bois, 88 x 64 cm, Metropolitan Museum of Art de New York. Détail de l'œuvre Voir en grand

     

    Ce thème n’est pas choisi au hasard, puisque David symbolise les vertus citoyennes que la jeune république de Florence souhaite mettre en avant : la détermination et le courage. Il en faut, pour une ville menacée par ses belliqueux voisins…

     

    Un très gros caillou

    Carte de l'Italie vers 1494. Illustration Artips Voir en grand

     

    Le grand bloc de marbre, lui, ne résiste pas au talent de Michel-Ange : en trois ans, la sculpture est terminée ! La ville découvre le héros David, nu et concentré, saisi dans l’instant qui précède son combat contre Goliath. Pour réussir là où les autres ont échoué, Michel-Ange a contourné plusieurs difficultés. Il est notamment parvenu à faire disparaître la fissure en y creusant l’espace entre le torse et le bras droit de David. Avec talent, Michel-Ange a directement taillé le héros dans un seul morceau de marbre, sans ajouts ni retour en arrière possibles. Bref, le sculpteur l’a emporté sur ce bloc indomptable, un peu comme David sur Goliath !

     

    Un très gros caillou

    Michelangelo Buonarroti dit Michel-Ange, David, 1501-1504, marbre de Carrare, 4,34 m, Galerie de l'Académie de Florence Voir en grand

     

    Un très gros caillou

    Michelangelo Buonarroti dit Michel-Ange, David, 1501-1504, marbre de Carrare, 4,34 m, Galerie de l'Académie de Florence. Détail de l'œuvre Voir en grand

     

    Article paru dans Artips

     


    votre commentaire
  • Figure emblématique du combat pour les droits des femmes

    Simone Veil s’est éteinte ce vendredi 30 juin. Grande figure politique du XXème siècle, humaniste intransigeante, elle avait notamment porté la loi sur la dépénalisation de l’interruption volontaire de grossesse. Hommage.

    Une jeunesse marquée par l’époque

    Simone Jacob naît le 13 juillet 1927 à Nice dans une famille juive peu pratiquante. Elle est la benjamine de la fratrie de quatre enfants. Son père, André Jacob, est un architecte de renom. Elle ne grandit pourtant pas dans l’opulence. La grande crise de 1929 frappe de plein fouet la situation de la famille Jacob. Ils déménagent dans un appartement exigu, et, face à la chute des commandes que connaît son père, sa mère, Yvonne (née Steinmetz), pourtant bachelière, tricote pour les enfants démunis.

    La situation devient tragique pour la famille Jacob dans les années suivantes. Lorsque la guerre éclate en 1939, Simone a douze ans. Les lois raciales de la France de Vichy interdisent à André l’exercice de sa profession. Désormais, sa mère passe donc ses journées à chercher de la nourriture pour ses enfants. En 1944, alors qu’elle passe son baccalauréat, Simone est arrêtée par la Gestapo. Toute la famille est déportée. Son père et son frère sont envoyés en Lituanie. Ils ne reviendront pas.

    Avec sa sœur et sa mère, Simone est internée à Auschwitz. Elle survit en mentant sur son âge (elle n’a alors que 16 ans), pour être envoyée aux travaux forcés. Sa mère y meurt l’année suivante. Orpheline, Simone Jacob, rentre en France à la libération. Elle connaît le tourment des rescapés des camps : « [j’étais] disposée à en parler, à témoigner. Mais personne ne voulait nous entendre ».

    Figure emblématique du combat pour les droits des femmes

    Simone Veil a été déportée à Auschwitz-Birkenau d’avril 1944 au 15 Avril 1945. 

    L’engagement en politique

    Bachelière à 16 ans, Simone Jacob fait de brillantes études. Sa licence de droit et son diplôme à l’Institut d’études politiques (où elle rencontre son mari André Veil qu’elle épouse en 1946) lui ouvrent les portes de la magistrature en 1956. Désormais haute fonctionnaire, en pleine guerre d’Algérie, elle obtient l’extradition en France de prisonnières algériennes exposées aux mauvais traitements et aux viols. Un engagement humaniste qui ne lui fera jamais défaut.

    En 1974, le président Valery Giscard d’Estaing la nomme ministre de la santé. Dépassant les clivages, elle parvient, grâce aux voix de la gauche, à faire adopter contre l’avis d’une partie de son camp, la loi de dépénalisation de l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Femme intègre, sans compromis sur ses valeurs, Simone Veil n’hésite pas en effet à bousculer son camp si ses principes sont en jeux. À la fin des années 1970, elle s’oppose notamment au projet du président de retour forcé des travailleurs algériens. Dix ans plus tard, elle s’oppose clairement à toute alliance entre la droite et l’extrême droite : « entre un front national et un socialiste, je voterai pour un socialiste », dit-elle en 1988. Deux ans plus tard, elle qualifie d' »inadmissible » les velléités de création d’un système de fichage généralisé par le renseignement intérieur.

    Son engagement libéral l’amène également au parlement européen, qu’elle préside de 1979 à 1982. Elle sera par la suite à la tête du groupe des libéraux, et soutiendra notamment le oui au projet de Constitution européenne en 2005, quitte à sortir de son devoir de réserve.

    Figure emblématique du combat pour les droits des femmes

    Simone Veil en 1984

    Une des grandes figures de la vie politique française

    Depuis 1998, elle est en effet membre du conseil constitutionnel. À la fin de sa vie, les hommages et les décorations pleuvent sur Simon Veil. Une vingtaine d’universités européennes, mais aussi israéliennes et américaines lui décernent des titres honorifiques. Elle préside jury et fondations (fondation Chirac, Fondation pour les victimes de la Shoah….).

    Elle est faite grand officier de l’ordre de la légion d’honneur en 2008, décorée de la Grande Croix en 2012. Aujourd’hui, de nombreux hôpitaux et lycées, et même une rue à Nice, portent le nom de cette grande figure de l’émancipation des femmes. Son autobiographie, publiée en 2007, s’écoule à plus de 500 000 exemplaires et obtient des prix littéraires.

    En 2008, elle entre ainsi à l’Académie Française, dans le fauteuil de Pierre Mesmer, qui fut aussi occupé par ni plus ni moins que Jean Racine et Camille Claudel. Trois présidents ou anciens présidents assistent à son intronisation. Sur son épée sont gravés les devises française (Liberté, Égalité, Fraternité) et européennes (Unis dans la Diversité), symboles de son engagement. Y figure également le numéro du matricule tatoué sur son bras à Auschwitz-Birkenau : 78651.

    Discours prononcé à l’assemblée nationale en 1974, avec des arguments toujours aussi actuels : https://youtu.be/LgDrHX9LmF8

     


    votre commentaire
  • Rescapée de la Shoah, européenne convaincue, l'ancienne ministre de la Santé, qui fit voter la légalisation de l'avortement, est décédée à l'âge de 89 ans.

    Une femme debout

    © Fournis par Libération Simone Veil en avril 2005.

    Une image ou plutôt des images de Simone Veil. Ses yeux, éblouissants, bleus comme le ciel. Ses colères qui explosaient, aussi brutales qu’inattendues. Son émotion à l’Assemblée quand des députés l’injuriaient lors de la loi sur l’IVG en 1974. Ou encore cette silhouette si fragile qui lui ressemblait si peu, là, debout, immobile, entraînée par son mari, le regard dévoré par la maladie. Elle était là, pour saluer les manifestants qui défilaient contre le Mariage pour tous : ce fut l’une de ses dernières sorties publiques.

    Simone Veil, ce sont des mots, aussi, qu’elle nous tenait en 1995, il y a plus de vingt ans : alors ministre des Affaires sociales du gouvernement Balladur ; elle était en voyage officiel à Beyrouth. « Vous savez, malgré un destin difficile, je suis, je reste toujours optimiste. La vie m’a appris qu’avec le temps, le progrès l’emporte toujours. C’est long, c’est lent, mais en définitive, je fais confiance. » Propos apparemment banals, propos qui pourraient paraître naïfs s’ils venaient de quelqu’un d’autre. Simone Veil est ainsi.

    Par un curieux hasard du calendrier, Simone Veil s’était trouvée quelques jours plus tôt à Auschwitz où elle dirigeait la délégation française aux cérémonies de commémoration de la libération du camp. Un camp où elle-même a été déportée. « Aujourd’hui, nous disait-elle, je ne suis pas émue. Il n’y a plus la boue, il n’y a plus le froid. Il n’y a plus surtout cette odeur. Le camp, c’était une odeur, tout le temps »

    Ce vendredi 26 janvier 1995, il faisait froid, un vent glacial. Dans le haut du camp de Birkenau, beaucoup de monde. Une quarantaine de délégations étrangères. Simone Veil avait pris le bras de son fils qui l’accompagnait aux cérémonies. Et tous les deux s’étaient dirigés vers un des baraquements, marron et gris. Elle y est restée quelques minutes.

    « C’est celui-là le baraquement où j’étais, nous dira-t-elle un peu plus tard. J’en suis sûre, avec ma sœur et ma mère, juste en bas du crématoire. A l’intérieur, ça n’a pas changé ; les deux endroits pour la kapo et la sous-kapo. Un poêle. Et puis au fond, tout du long, les couches de bois où on dormait, entassées. Je voulais les lui montrer. » Elle a ajouté : « Pendant toute la cérémonie de commémoration, il y avait quelque chose qui m’intriguait. J’ai eu, toute la matinée, comme tout le monde, un peu froid aux pieds, alors qu’il ne faisait pourtant pas très froid. Et je me demandais comment on avait pu résister à tant de froid. Jusqu’à -30°… Je n’arrive pas à me souvenir comment on faisait. On n’avait rien. Est-ce qu’on se mettait du papier sur le corps ? Ou bien des vieux sacs de plâtre ? Pendant toute la cérémonie, j’essayais de m’en souvenir, et je n’arrivais pas. »

    Simone Veil est dans le présent, toujours. Femme exceptionnelle, adorée des Français, à l’image si pure. Simone Veil la déportée, Simone Veil la combattante de l’IVG, Simone Veil l’Européenne. Toujours la même. Un roc. Elle disait encore : « Je crois, toujours, que cela sert à quelque chose de se battre. Et quoi qu’on dise, l’humanité, aujourd’hui, est plus supportable qu’hier. » Et ajoutant : « On me reproche d’être autoritaire. Mais les regrets que j’ai, c’est de ne pas m’être battu assez sur tel ou tel sujet. »

    Une femme debout

    Simone Veil le l2 février 1987 à Paris, France. Photo Micheline Pelletier. Gamma

    L’enfance et la déportation

    Sa vie ? C’est celle d’une famille du siècle dernier. Une famille, car on ne peut comprendre le saisissant parcours de cette femme hors pair, si on laisse de côté sa mère, son enfance heureuse, cette vie forte et belle. Sa mère Yvonne qui ressemblait « à Greta Garbo », « une femme exceptionnelle ». Son père, André Jacob, est un brillant architecte, prix de Rome. C’est une famille bourgeoise, aisée. Ils vivent tous à Nice.

    En 1924, le père a décidé de s’installer sur la Méditerranée, convaincu que le marché immobilier lui offrirait plus de perspectives. Et sa femme a beau adorer Paris, elle l’a suivi. Simone Veil dit garder un souvenir « délicieux » de sa toute enfance. « Je suis beaucoup moins douce, beaucoup moins conciliante, beaucoup moins facile que maman », précisait-elle. « Maman n’a pas travaillé, sous la pression de mon père et malgré des études de chimie qui la passionnaient. Elle ne pensait jamais à elle, abandonnant l’idée d’une vie personnelle pour tout donner à ses enfants, à son mari. »

    Quatre enfants en l’espace de cinq ans. Simone, est la dernière, la plus jeune, la plus insoumise. Et l’aînée Madeleine, quatre ans de plus, a toujours eu pour mission de remplacer sa mère quand celle-ci n’était pas là. Simone est une enfant, rebelle, aimante, heureuse comme tout. « Un jour j’ai demandé à mon père si cela l’ennuyait si j’épousais un non juif, il m’avait dit que j’épouserais qui je veux. » Elle aimait ce père, qui était aussi autoritaire. « Je n’aimais pas l’idée qu’il impose ses goûts à maman, ce sentiment de dépendance cela m’exaspérait ! »

    Chez eux, la religion n’existait pas vraiment, c’était une vieille famille juive installée en France depuis des générations. Et c’est une famille où tout bascule à l’orée de la vie. Simone n’a que 16 ans lorsqu’elle est arrêtée avec sa mère et Milou, sa sœur Denise étant déportée à Ravensbrück comme résistante. C’est Jean d’Ormesson qui raconte cette scène, lorsqu’il tient le discours de récipiendaire de Simone Veil à l’Académie française, en mars 2010.

    « Le 29 mars 44, vous passez à Nice les épreuves du baccalauréat, avancées de trois mois par crainte d’un débarquement allié dans le sud de la France. Le lendemain 30 mars, en deux endroits différents, par un effroyable concours de circonstances, votre mère, votre sœur Milou, votre frère Jean et vous-mêmes êtes arrêtés par les Allemands. » Après avoir transité huit jours, le 15 avril 1944, Simone Veil, sa sœur et leur mère arrivent sur la rampe d’accès du camp d’Auschwitz-Birkenau. Elle a 16 ans, elle est belle comme tout, de longs cheveux noirs.

    « Un voisin de calvaire lui conseille immédiatement de dire qu’elle a 18 ans. La nuit même de cette arrivée, selon la règle du camp, elle s’appellera désormais Sarah et sur son bras est tatoué le numéro 78651 », raconte Jean d’Ormesson qui poursuit : « En janvier 45, l’avancée des troupes soviétiques fait que son groupe est envoyé à Dora, après un voyage effroyable, puis le groupe se rend à Bergen-Belsen. Sa mère, épuisée, mourra du typhus le 13 mars, et un mois plus tard, soit un an presque jour pour jour, les troupes anglaises entrent à Bergen-Belsen. »

    Sa beauté, dira Simone Veil, l’a protégée. « J’ai été protégée par une femme kapo, qui m’a dit : tu es trop jolie pour mourir ici, et elle m’a envoyé avec ma mère et ma sœur, dans un camp voisin au régime moins dur. » C’est sa mère, toujours sa mère, qui la soutenait. « Je ne sais comment elle a trouvé la force de faire la marche de 70 km dans la neige, dévastée, malade d’un typhus… Le sens moral, je crois que c’est ce qui était le plus important pour mes parents. »

    La rencontre avec Antoine

    A peine de retour, c’est la vie qui reprend, comme un courant d’eau que l’on ne peut arrêter. Quoiqu’il arrive, Simone Veil est debout. Ses parents sont morts, son frère aussi. Elle commence Sciences Po. Antoine Veil ? C’est une rencontre, scellée dans l’ombre de la rue Saint-Guillaume où ils font tous les deux Sciences Po « en copiant un peu l’un sur l’autre ». Ils sont amoureux, très amoureux. Et leur union démarre sous des auspices un brin bourgeois.

    Mariage à 19 et 20 ans, enfant l’année suivante. Et entre eux, la répartition des tâches est alors classique ; à lui les responsabilités professionnelles, à elle les fourneaux. Simone veut pourtant travailler, « le legs le plus important que ma mère m’ait confié », glisse-t-elle. Antoine refuse. Dans un portrait à Libération, il raconte : « J’appartiens à une génération macho où les bourgeoises convenables restaient à la maison. »

    Simone veut être avocate. « Pas question », lui dit Antoine. A force de prises de bec et de disputes, elle décroche l’autorisation de devenir magistrate : « Ça correspondait plus à la vision du monde d’Antoine », commentera-t-elle. Quand on aborde cette époque, Simone Veil lève les yeux au ciel et lâche, avec tendresse : « J’ai dû me battre. » Antoine Veil ajoutera, bon prince : « Je suis un macho qui s’est soigné, un macho guéri, j’ai complètement changé. »

    Après lui avoir donné trois fils, Simone a donc la permission de devenir magistrate. Elle occupe un poste de haut fonctionnaire dans l’administration pénitentiaire au ministère de la Justice, où elle s’occupe des affaires judiciaires, qu’elle délaisse en 1964 pour les affaires civiles. En 1970, elle devient secrétaire générale du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Mais c’est toujours Antoine qui est la personnalité publique, la plus voyante. Il milite, elle non. Et si dans le couple, l’un doit faire une carrière politique, c’est bien Antoine, et non Simone, qui devra la mener.

    Par un concours de circonstances, tout va permuter. Simone Veil est repérée puis promue par Valéry Giscard d’Estaing comme ministre de la Santé, sur les conseils de Jacques Chirac. Antoine Veil, alors conseiller de Paris, accepte. Et se replie sur le monde des affaires. « Quand j’ai vu qu’elle allait évoluer en Formule 1, je suis retourné au fond de la classe. Je ne voulais pas jouer les Poulidor », reconnaissait-il avec humour. « J’ai quand même fait de la politique à travers le club Vauban, un club de réflexion. »

    Le combat pour le droit à l’avortement

    La voilà donc au gouvernement, en 1974. Giscard est président, mais elle n’a pas voté pour lui. Chirac ? Elle apprécie l’homme, mais pas le politique, et pourtant elle devient sa ministre de la Santé. Simone, la rebelle, est ravie de ce pied de nez inattendu, mais elle pense que « ça ne durera que quelques semaines », le temps de « balancer une énorme gaffe ». En fait de gaffe, elle ne tarde pas à faire ses preuves et « perce », comme dira son mari, sur un thème qui marquera sa vie.

    C’était, en effet, une promesse du candidat Giscard : dépénaliser l’avortement, et a priori ce devait être au garde des Sceaux de défendre le projet. Mais Jean Lecanuet y est défavorable. Et c’est la ministre de la Santé qui monte à la tribune. Un combat pénible où elle subira les pires injures d’une droite antisémite, mais un combat aussi magnifique qui marquera les esprits.

    « Si j’en ressens de la fierté ? Non, mais je ressens une grande satisfaction, parce que c’était important pour les femmes, et parce que ce problème me tenait à cœur depuis longtemps », dira-t-elle plus tard. Et aujourd’hui encore, elle avoue sa surprise : « La constance de la reconnaissance à mon égard pour cette loi m’étonne toujours, et je continue de penser que la loi Neuwirth autorisant la pilule est beaucoup plus importante. »

    Bien sûr, dans ce combat légitime, il y a eu cette forte image, revue mille fois où elle avait le visage perdu dans les mains, et tout le monde ajoutant qu’elle pleurait : « Eh bien non, nous dira-t-elle, je n’ai pas le souvenir d’avoir pleuré, il devait être 3 heures du matin, mon geste indique que j’étais fatiguée mais je ne pleurais pas. » Puis : « La dernière nuit du débat, Jacques Chirac a souhaité venir à l’Assemblée pour me soutenir. Je lui ai dit que ce n’était pas la peine. A 3h30, le texte était voté par 284 voix contre 189. Je suis rentrée chez moi en traversant la place du Palais Bourbon, où des égreneurs de chapelets m’attendaient pour me couvrir d’insultes, et à la maison j’ai trouvé une énorme gerbe de fleurs. » Simone Veil avait gagné.

    « Vous êtes féministe ? », lui demandera la journaliste Annick Cojean, pour expliquer ce combat : « Je ne suis pas une militante dans l’âme, mais je me sens féministe, très solidaire des femmes quelles qu’elles soient… Je me sens plus en sécurité avec des femmes, peut-être est-ce dû à la déportation ? Au camp, leur aide était désintéressée, généreuse, pas celle des hommes. Et la résistance du sexe dit faible y était aussi plus grande. »

    Une femme debout

    Simone Veil se rend aux urnes en Fiat 500, le 10 Juin 1979. Photo Philippe Ledru. AKG-Images

    L’Europe

    Dans les années 70 et 80, pointe, alors, son deuxième défi : participer à l’idéal européen qui commence à prendre forme. « Au cours du XXème siècle, dira-t-elle souvent, l’Europe a entraîné à deux reprises le monde entier dans la guerre. Elle doit désormais incarner la paix. » C’est un combat qui lui colle à la peau : l’Europe. A la demande de Valéry Giscard d’Estaing, alors président, elle conduit la liste Union pour la démocratie française (UDF) aux élections européennes de 1979, les premières au suffrage universel. Et en juillet 1979, elle accède à la présidence du premier parlement européen.

    Au début de l’année 1982, elle est sollicitée pour briguer un second mandat, mais ne bénéficiant pas du soutien des députés RPR, elle retire sa candidature. « Nous vivions dans les balbutiements d’une Europe enthousiasmante », racontera Jacques Delors, élu en même temps qu’elle au Parlement européen. « Simone Veil, pendant sa présidence, a fait preuve d’une qualité rare : le discernement. »

    Simone Veil n’est pas une intellectuelle, ni une oratrice hors pair. Parfois même, elle peut ennuyer, parlant plat. Mais on l’écoute. C’est elle, car c’est toujours une position qu’elle tient, une attitude qu’elle impose. Sur l’IVG comme sur l’Europe, elle convainc. Elle n’impose pas par ses mots, mais par sa présence. Elle est là, comme un roc, comme une preuve que l’on peut résister aux vents mauvais et aux marées qui engloutissent un temps la terre. Elle est là. Avec son caractère entier, parfois de mauvaise foi, toujours direct, capable de sermonner vertement un journaliste pour la bêtise de ses propos.

    « Mon premier réflexe est toujours de dire non », reconnaît-elle. Il n’empêche, elle est un visage. Et une attitude. Simone Veil est, alors, très présente. Elle aime aussi être mondaine, on la voit souvent sortir souvent aux soirées de gala. Elle reconnaît avoir un caractère difficile, les idées tenaces, la rancune aussi. Ainsi contre François Bayrou qu’elle a toujours méprisé, détestant le rôle de petit marquis qu’il a eu lors de sa campagne européenne, où il était son directeur de campagne. « Il est capable d’énoncer avec la même assurance une chose et son contraire, uniquement préoccupé de son propre avenir. »

    C’est ainsi, Simone Veil aime, ou déteste, sans partage ni nuance. « Quand Simone a décidé de quelque chose, on peut venir avec tout un bataillon, on ne le fera pas changer d’avis », témoigne Marek Halter. Simone Veil trouve, ainsi, tout à fait inexacte l’analyse d’Hannah Arendt sur le procès Eichmann. Elle va trouver « insoutenable », « inimaginable », et « injuste » la proposition de Sarkozy, en 2008, qui veut que tout enfant de CM2 se voie confier la mémoire d’un des 11000 enfants français victimes de la Shoah.

    Mais c’est la même qui, dans les années 90, alors que le sida faisait des ravages dans les services hospitaliers, se fait simple bénévole, à l’hôpital Broussais, où elle participe à la consultation de nuit. Présente, toujours présente. Simone Veil a gagné le droit d’être inclassable. Elle se prendra d’affection pour Rachida Dati, « une perle ». De Sarkozy, elle dira toujours : « Je lui garde amitié et confiance », disant aimer son « tempérament de combattant ».

    Toutefois, cela ne l’empêchera pas de critiquer l’annonce de la création d’un ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale par le candidat de l’UMP, préférant un ministère « de l’Immigration et de l’Intégration ». Il n’empêche, elle lui restera fidèle : « Ce qui compte pour moi, c’est que les gens soient fiables et qu’ils aient du cœur. » En mars 1998, elle est nommée au Conseil Constitutionnel, jusqu’en mars 2007. On l’entend peu, mais elle sortira de son devoir de réserve en 2005, « pour appeler à voter oui au référendum sur la Constitution européenne ». Toujours l’Europe.

    Les honneurs

    Puis peu à peu, elle quitte la vie publique. Mais jamais complètement. Elle est une icône, la personnalité politique préférée des français. Le 11 janvier 2008, le président de la République, Nicolas Sarkozy, annonce qu’il l’a chargée de « mener un grand débat national pour définir les nouveaux principes fondamentaux nécessaires à notre temps, les inscrire dans le préambule de la Constitution », nommant la « diversité » qui « ne peut pas se faire sur une base ethnique ».

    Elle multiplie les rôles honorifiques, mais la Shoah est toujours présente dans sa vie de femme publique. De 2000 à 2007, elle préside la Fondation pour la mémoire de la Shoah, dont elle est par la suite présidente d’honneur. Les honneurs ne lui déplaisent pas. Le 1er janvier 2009, elle est promue directement à la distinction de Grand officier de la Légion d’honneur. Puis élue à l’Académie française en 2010. Elle continue. Et le 25 novembre 2012, elle prend symboliquement la première carte adhérente de l’UDI, ce nouveau parti centriste, une carte au nom de Simone Veil.

    Ces dernières années, son regard, peu à peu, va disparaître. Vide, comme absent. Elle est malade, de cette maladie que l’on dit du XXIème siècle. Terrible, et cela lui va si mal. Elle qui aime tant sortir, parler, elle ne peut ni l’un ni l’autre. Son visage se fige. Elle continue, pourtant, à voir régulièrement, sa vieille amie de camp, Marceline Loridan-Ivens.

    En avril 2013, son mari meurt dans la nuit à 86 ans… « C’était un couple exceptionnel, raconte celle-ci. Vous savez les vieux couples, soit ils deviennent aigris, soit exceptionnels. A sa mort, Simone se retrouve si seule. » Marceline Loridan-Ivens a un an de plus que Simone. « On a été dans le même train, puis au camp, on dormait face à face, dans le bloc 9. J’étais là quand la kapo lui a dit : « Toi, tu es trop belle pour mourir. » Puis : « Dans le monde d’aujourd’hui, elle a pris des risques. »

    Elle raconte, encore, ses retrouvailles avec Simone : « Je l’ai retrouvée, par hasard, dans une rue de Paris, en 1956, elle promenait deux enfants. On se voyait, se téléphonait souvent, on se s’est jamais perdues de vue. Elle a toujours été avec moi très protectrice. » Simone ? « Son image est plus forte que les médias, le mythe est plus fort. C’est vrai, aujourd’hui, c’est injuste de la voir comme elle est, malade. » Puis : « Mais vous savez il faut lutter pour garder son humanité. »

    Lire :

    Simone Veil, un Destin, par Maurice Szafran, Flammarion, 1994

    Une vie, par Simone Veil, Stock, 2007

     

    Une femme debout

    Simone Veil : Mort à 89 ans de l'ancienne ministre et icône politique

     


    votre commentaire



    Suivre le flux RSS des articles
    Suivre le flux RSS des commentaires