• L’inventeur du « demi » fait toujours impression

    La maison Bofinger, où est né le fameuse demi de bière, dans les années 1860. | Photo : DR

     

    Il faudrait dresser une statue à Frédéric Bofinger, le restaurateur alsacien, qui ouvrit en 1864 une cantine où l’on découvrit pour la première fois le désormais fameux demi-pression.

    En 1864, alors que ses compatriotes rayonnent autour de la gare de l'Est, le restaurateur alsacien Frédéric Bofinger s'installe à la Bastille, à la lisière du Marais et du Faubourg Saint-Antoine, où de nombreux Alsaciens travaillent le bois. La bière d'Alsace est réputée pour être la meilleure, elle rafle toutes les médailles d'or à l'Exposition universelle de 1867...

    L’Alsace et la bière, c’est une vieille histoire. Certes, les Égyptiens l’ont inventée il y a six mille ans, les Gaulois l’ont popularisée en la surnommant « cervoise ». Mais il faut attendre le lent travail des moines trappistes entre le IXe et le XIIe siècles pour en améliorer la fermentation et l’épicer de houblon, réputé pour ses vertus antiseptiques.

     

    L’inventeur du « demi » fait toujours impression

    Chez Bofinger, rue de la Bastille, à l’origine une simple cantine créée par le jeune Alsacien Frédéric Bofinger. (Photo : DR)

     

    En Europe du Nord, on la déguste alors dans les abbayes auxquelles Charlemagne a conféré le monopole de fabrication et c’est à saint Louis que revient, entre autres bienfaits, le mérite de l’affranchir de ces saints lieux en créant, en 1268, le corps de métier des brasseurs.

    La fièvre dorée

    Les premières brasseries s’installent en Alsace et y prospèrent. En 1803, plus de 250 établissements tiennent le pavé à Strasbourg. Elles connaissent leur apogée entre 1855 et 1870, lors de l’invasion allemande. Et c’est à ce moment que Frédéric Bofinger profite de la ligne de chemin de fer Paris-Strasbourg pour gagner la capitale qui découvre elle aussi la fièvre dorée. Frédéric Bofinger n’a pas un sou en poche, mais plein d’idées dans la tête. Et il aime la bière.

     

    L’inventeur du « demi » fait toujours impression

    Gravure de la Gare Paris-Bastille inaugurée en 1859 par Napoléon III. (Photo : DR)

     

    Imaginez la place de la Bastille dans le Paris des années 1860. Moins d’un siècle a passé depuis la chute de la forteresse et les éclats sanglants de la guillotine révolutionnaire. Face au petit génie de la Liberté juché sur la colonne de Juillet, Napoléon III vient d’inaugurer la nouvelle gare de Paris-Bastille qui emmène les Parisiens vers les bords de Marne et les guinguettes.

    En 1864, alors que ses compatriotes rayonnent autour de la gare de l’Est, Frédéric Bofinger s’installe à la Bastille, à la lisière du Marais et du Faubourg Saint-Antoine, où de nombreux Alsaciens travaillent le bois. La bière d’Alsace est réputée pour être la meilleure, elle rafle toutes les médailles d’or à l’Exposition universelle de 1867.

     

    L’inventeur du « demi » fait toujours impression

    La pompe à pression, popularisée à Paris par Frédéric Bofinger, ici au Rallye Passy dans le XVIe. (Photo : DR)

     

    Bofinger passe marché avec la maison Cronenbourg – qui deviendra en 1947 Kronenbourg – et désaltère les Parisiens, assoiffés et heureux, au moyen d’un nouvel engin, la pompe à pression. Sa cantine qui n’occupe que quelques mètres de façade rue de la Bastille, est la première à servir ce que l’on nomme bientôt le demi « à la pression ».

    Nini Pot de Chien n’est jamais loin

    Le grand mérite de cette technique est de faciliter la conservation et le transport du breuvage instable. Et donc sa qualité. Après les amphores antiques, les tonneaux gaulois, les fûts métalliques apparus au XIXe siècle et l’augmentation de leur capacité (20, 60 et jusqu’à 400 litres) favorisent le débit et l’animation des lieux.

    La pression permet de tirer la bière que nous connaissons, fine, légère, pétillante ou veloutée sous la langue, avec sa mousse blanche plus ou moins épaisse que l’on lisse à l’aide d’une spatule et dont les excès s’écoulent lentement dans le rince verre.

     

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    Améliorée dans les abbayes entre le IXe et le XIIe siècle, jusqu’à ce que Saint-Louis crée la confrérie des brasseurs, la bière vient surtout des abbayes trappistes d’Europe du Nord. (Photo : DR)

     

    De partout, on accourt rue de la Bastille, chez Bofinger, pour une bonne rasade bien fraîche. Servie dans des pots en grès que les clients apportent eux-mêmes, avec de la charcuterie et de la choucroute, ce n’est pas une boisson de fillette, elle titre entre 18 et 25°.

    En 1870, quand la Prusse annexe l’Alsace et la Lorraine, les réfugiés affluent dans Paris et assurent le succès de l’établissement. On y croise le chansonnier Aristide Bruant qui apporte ses propres œufs pour qu’on lui prépare « la plus savoureuse omelette du monde ». Nini Pot de Chien n’est jamais très loin.

    De François Mitterrand à Coluche…

    En 1906, après plus de quarante ans de comptoir, Frédéric Bofinger cède l’affaire à son gendre, Alfred Bruneau. Associé au maître d’hôtel Louis Barraud, il rachète la crèmerie, la boulangerie et l’entrepôt de charbon voisins pour créer d’élégants salons et la belle salle de la Coupole, ornée d’une immense verrière art déco.

     

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    La maison s’agrandit et de beaux salons attirent la clientèle. L’un d’entre eux est décoré par le célèbre peintre Hansi avec les couleurs et les blasons de l’Alsace. (Photo : DR)

     

    En 1930, Bofinger est devenu une institution, portée par la belle enseigne dessinée tout exprès par le peintre alsacien Hansi. La France de la Belle Époque se régale de sa savoureuse cuisine.

    Pendant l’Exposition coloniale de 1931 dont les pavillons sont plantés dans le bois de Vincennes tout proche, on y sert 2 000 couverts par jour. 150 ans plus tard, Bofinger, repris en 1996 par le groupe Flo, continue de porter l’excellence culinaire française. François Mitterrand y a fêté son élection. Coluche avait coutume d’y réunir les Enfoirés et on y sert bien sûr toujours la bière à la pression. « Un demi, garçon, bien frais, s’il vous plaît ! »

     

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    La brasserie est devenue une des tables les plus réputées de Paris. (Photo : DR)

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     La grande verrière dans la salle de la coupole. (Photo : DR)


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