• L'endroit le plus insolite du monde ? (1)

    C'est où ? En plein détroit de Bering se trouvent deux bouts de rochers habités l'un en Alaska, l'autre en Russie. Traversés par la ligne de changement de jour. Visite guidée.

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    Détroit de Bering. Crédit photo: © Jérome Stern

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    Petite Diomède. Crédit photo: © Jérome Stern

    De loin, en plein océan Arctique, on aperçoit que deux minuscules rochers face à face dont les falaises tombent à pic dans le Détroit de Bering.

    Prudent, sur la passerelle, Etienne Garcia, le capitaine du Soleal, navire à taille humaine de la Compagnie française du Ponant, ne cesse de consulter ses cadrans et de donner ordre sur ordre car ce lieu particulier juste au delà du cercle arctique polaire présente quelques dangers, profondeur limitée et courants forts. Même si pour une rare fois, le temps est presque beau fixe et que le bateau, occasion inespérée, vient de croiser une centaine de morses s'éparpillant autour d'un bloc de granite gris dressé dans cette mer froide, le Fairway Rock.

    Une rare fois, car si l'endroit est cerné de glaces une bonne moitié de l'année avec des journées sans soleil, les autres mois restent sous l'emprise de la brume, des vagues, du vent et de la tempête.

    Autant dire que l'approche forcément lointaine est délicate, d'autant que les quelques passagers privilégiés dont je suis débarquant à l'aide de frêles Zodiacs, sont fermement priés par le conseil du village spécialement réuni à cette occasion à rester en rangs, à ne rien ramasser sur place et surtout à ne pas se rendre aux abords du petit cimetière local. Perdus au bout du monde, les rares habitants n'ont jamais vu le moindre bateau européen et le dernier (petit) navire de croisière a approché l'île il y a plus de deux ans. Car ces îles sont habitées. Depuis plusieurs millénaires.

    Lundi d'un coté, mardi de l'autre

    Les Diomède sont deux îlots pelés, aux falaises impressionnantes, sans aucun arbre ni la moindre route, que quelques rares Inuit ont occupé lors de leur migration entre Asie et Amérique, la plupart continuant leur chemin s'éparpillant jusqu'au Groêland. Séparées de 3,2 km seulement, la Grande Diomède a une superficie de 29 km2, la Petite 7,5 km2 (106 km2 pour Paris). Survivantes de l'épine dorsale de la Beringie, la langue de terre qui reliait les deux continents, elles sont situées dans un lieu unique, exceptionnel, étrange, inattendu, rare, original, bref, insolite.

    En effet, la Petite Diomède est le point le plus occidental des Etats-Unis, donc en Alaska, la grande Diomède au point le plus oriental de la Sibérie, donc en Russie. Et au milieu d'entre elles, 1,6 km de chaque coté, passe la ligne de séparation de jour: quand il est lundi côté américain, il est déjà mardi côté russe !

    Plus étrange encore, ici la guerre froide reste d'actualité, car si la Russie impériale ruinée a vendu l'Alaska en 1847 pour 7,3 millions de dollars-or, elle a conservé son minuscule rocher, aujourd'hui unique base militaire totalement interdite d'accès, Staline ayant évacué de nombreux Inupiat dans les années 1930, sans billet de retour.

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    Crédit photo: © Jérome Stern

    Plus de hamburgers que de phoques

    De leur côté, les Américains font tout pour préserver une présence humaine sur leur minuscule bout de granit aux falaises de 300 m abruptes. Les 78 habitants actuels sont très attachés à leur île, demeurant dans des maisons sur pilotis plus ou moins stables, vivant un peu de la chasse et de la pèche et recevant beaucoup de subventions.

    Le bâtiment le plus imposant et le plus solide est l'école-gymnase-salle des fêtes-mairie au terrain de basket réglementaire. L'unique magasin fourre-tout peu approvisionné accepte la Mastercard. L'infirmerie est reliée par télétransmission à l'hôpital de Nome, la ville la plus proche où l'on mange davantage de hamburgers surgelés que de phoque frais.

    Ici, les écoliers bénéficient d'un instituteur continental détaché de la lointaine Anchorage. Les malades sont soignés par Dave, infirmier Inuit, mais citadin de Nome. Les vivres pas toujours les plus frais arrivent par l'hélicopère hebdomadaire... lorsque le temps le permet. L'atterrissage se faisant sur une plate forme toujours ventée, entre un étrange container rouillé et un immense réservoir de fuel déglingué quand les chiens de traineau ne viennent s'éparpiller par là.

    Et lorsque les Inuit américains vont à la chasse, leur préoccupation principale est d'éviter l'ile russe. Les soldats de Poutine n'hésitent pas à leur tirer dessus en cas de franchissement de la frontière et une note du gouverneur de l'Alaska rappelle à ses concitoyens qu'il ne peut intervenir s'ils sont faits prisonniers par les Russes. Ce qui arrive parfois.

    De curieux visiteurs

    Si de la fenêtre blafarde de la modeste église américaine on peut deviner une caserne russe délabrée - par un rare beau temps - les relations entre les deux îles n'ont pas toujours été aussi compliquées qu'elles ne le sont en 2013.

    Le danois Vitus Bering a été le premier à découvrir ces deux rochers perdus en 1728 les baptisant du saint du jour. Mais ne trouvant pas d'intérêt à ces lieux où rien ne pousse ni ne poussera, il les a laissé aux quelques Inuit. Installés sommairement ce peuple continue à chasser les baleines, morses et autres narvals et vivent de viande fraîche ou séchée. Les Inuit vêtus de peaux d'ours et de cuirs de phoques allaient allègrement d'un bout de rocher à l'autre, à pied sur la banquise d'hiver, en kayak sous le soleil de minuit.

    Ce n'est qu'avec l'arrivée des Soviétiques que la géopolitique fait son intrusion et sépare définitivement des familles installées là depuis des lustres, les derniers à être exilés en terre Tchouke l'étant en 1949. Et depuis, les uns regardent les autres avec l'angoisse qu'une Kalachnikov ne se trompe de cible.

    Si sur la Grande Diomède les visites civiles sont interdites, les touristes sont rares sur la Petite. Ce sont d'ailleurs d'étranges visiteurs. En 1987 pour fêter la Perestroïka, l'Américaine Lynne Cox a joint les deux îles à la nage en un peu plus de deux heures... et un jour ! Saluée officiellement par Reagan et par Gorbatchev ! En 1996 un acteur des Monthy Pithon, Michael Palin a bouclé un étrange tour du monde et l'an passé un nageur handicapé, sans bras et sans jambes, le français Philippe Croizon, 45 ans, y a fini de relier quatre continents à la nage.

    L'endroit le plus insolite du monde ?

     

    L'endroit le plus insolite du monde ?     L'endroit le plus insolite du monde ? 

                                  Philippe Croizon             Michael Palin

    Aujourd'hui, les Inuit locaux, très hospitaliers et curieux du monde, peuvent sourire, car si pour l'instant, l'avenir des nombreux enfants ne s'inscrit pas sur place, il pourrait s'éclairer.

    Le développement des voyages hors norme, l'attrait d'horizons excentrés et aussi le réchauffement climatique devraient leur permettre de bénéficier d'une manne encore inédite et limitée: quelques locaux sculptent à nouveau l'ivoire des morses, une tradition abandonnée depuis des années, dans l'espoir de les revendre un jour prochain.

    Après le passage du Soleal, une première tout à fait exceptionnelle tant pour les Français que les Inuit, d'autres bateaux de tourisme de petite taille pourraient approcher - pas question d'aborder, il n'y a ni fonds ni quai - la Petite Diomède... par beau temps.

    L'endroit le plus insolite du monde ?

    Le « Soléal »

    Source illustration

    http://www.chamade.ch
    http://www.huffingtonpost.fr/jerome-stern/lendroit-le-plus-insolite_b_4265050.html


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