• S'il fallait évoquer d'un mot la situation de Cordes au début de la Grande Guerre, ce serait « le dynamisme ». Relevons-en quelques signes.

    Tout d'abord le nombre et la diversité de ses magasins et ateliers. Le recensement de 1911 indique maison par maison la demeure ou l’échoppe de quelques 118 artisans et 61 commerçants. Pour une population communale de 1822 personnes c'est assez impressionnant. Cordes se montre ainsi capable de faire face à toutes les demandes de cette population, et d'abord en termes de consommation : 13 boulangers, 8 bouchers, 9 épiciers, 4 pâtissiers, 3 charcutiers... Ne parlons pas de la boisson, elle est à la hauteur avec une dizaine de cabaretiers ou « limonadiers » comme on disait alors... Il n'y a pas que la nourriture ; toutes sortes de soins et de services sont assurés : 20 couturières, 12 cordonniers, 9 tailleurs, 5 coiffeurs, 4 modistes... Sur la commune de Cordes au sens strict on compte135 agriculteurs, des centaines évidemment si on parle du canton. Ils assurent une clientèle suivie à toute une panoplie d'artisans très spécialisés : forgeron, maréchal-ferrant, charron, charpentier, menuisier, chaudronnier, cloutier, bourrelier... trop nombreux pour tous les citer !

    Un peu d'histoire

    Place de la Bouteillerie

     

    Le commerce de Cordes est aussi tourné vers l'extérieur avec 17 négociants en gros, spécialisés notamment dans les grains, le fourrage, les œufs et les tissus ou plutôt les « draps » pour employer l'appellation de l'époque, sans oublier évidemment la broderie. Les quais de la gare de Vindrac, malgré l'éloignement de Cordes, sont encombrés de marchandises partant souvent bien au-delà de la région albigeoise. Les demandes adressées à la compagnie des chemins de fer pour de meilleurs horaires et davantage de trains sont permanentes. Et pendant des années les Cordais n'ont eu de cesse d'avoir une ligne directe de Vindrac à Carmaux ; on les comprend. Elle viendra mais après la guerre, les terrassements ayant été assurés par les prisonniers allemands.

    Il faut mettre à part le secteur de la broderie. Prenant le relais de la traditionnelle industrie cordaise du tissage (en disparition sous l'impact des progrès techniques), la broderie est en plein développement. Non seulement se sont montées quelques fabriques employant plusieurs dizaines d'ouvriers et d'ouvrières (la Gaudane, que l'on peut visiter aujourd'hui, en est une, la principale) mais surtout nombre de Cordais ont installé chez eux des métiers à broder. Dans les années 1910, sur une population adulte de 1510 personnes, ce ne sont pas moins de 284 hommes ou femmes qui se déclarent brodeurs, brodeuses, un chiffre incroyable s'il ne venait pas d'un recensement officiel.

     

    Un peu d'histoire

    Au Printemps Nouvelles Galeries

     

    Pour qui s'intéresse à la grande Guerre, rien de tel que de parcourir la liste de ses métiers présents à Cordes début 1914 en marquant d'une croix les hommes qui les exerçaient et qui ont été mobilisés au mois d'août. Cela donne une idée du bouleversement impressionnant que la guerre va apporter à notre petit bourg. A chaque ligne deux questions surgissent, précises, concrètes, incontournables : qui va assurer le service que cet artisan ou ce commerçant remplissait ? Que va devenir ce magasin, cet atelier, ces outils de travail en l'absence, pendant plusieurs années, des hommes qui les faisaient vivre ? Et il ne s'agissait pas, durant l'été 1914, de se mettre à réfléchir pour élaborer une nouvelle organisation économique ou un nouveau partage des tâches : le bouleversement est venu subitement comme un tsunami ; c'est en l'espace d'un jour ou deux que la mobilisation générale a fait le vide.

    Et pourtant Cordes a tenu le coup...

     

    Un peu d'histoire

    Carrefour de la Halle

    Article paru dans Cordes Infos


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  • 12 avril 1914, c'est Pâques ! Le pays Cordais émerge d'un hiver particulièrement rigoureux : fortes chutes de neige, pointes de froid descendant allègrement en dessous de moins 10, fontaines et lavoirs transformés en blocs de glace... on n'avait pas connu un tel hiver depuis 1870. On se demande si les malheurs ne vont pas recommencer...

    Quelques Cordais lisent les journaux, les nouvelle sont loin d'être rassurantes. Mauvais signe, le service militaire a été porté à trois ans, Jaurès, que l'on connaît bien en pays cordais, s'époumone à crier « non » à une entrée en guerre mais sa voix est arrêtée d'un coup de revolver.

     

    14-18 en Pays Cordais

    Dessin de poilu par Georges Scott – L'Illustration

     

    Le 1er août tout bascule, les églises sonnent le tocsin : désormais le spectre de la mort va étendre son ombre sur le pays cordais. Loin de la littérature parcourons les archives, débusquons ce qui se cache sous la sécheresse des dates et des chiffres ! Début août arrive à Cordes l'ordre de mobilisation générale provoquant immédiatement le départ des hommes concernés. Or avant la fin de ce même mois, le 28 août, Émile Souillé, de Cordes, est tué au Bois de Vulcain en Meurthe et Moselle. Et c'est une véritable litanie de mort qui s'enclenche. Quand on étudie les dates de disparition des soldats originaires du canton cordais on s'aperçoit que durant quatre ans il est rare qu'une semaine puisse 's’écouler sans qu'un nom s'ajoute à la liste. A Cordes et dans les villages des alentours tout le monde se connaît et bon nombre de familles ont des liens de parenté. A chaque rencontre l'annonce d'une disparition d'un parent ou d'un ami remplace petit à petit le bonjour habituel. La mort au front, non pas d'abord les circonstances concrètes que l'on ne connaît pas et qui sont en fin de compte secondaires à ce moment-là, mais ce fait de la perte définitive d'un membre de la famille et de la communauté devient le sujet de conversations qui occupent progressivement le terrain de la vie sociale, au hasard d'une rencontre, au lavoir, au marché du samedi, à la sortie de la messe du dimanche au cours de laquelle le prêtre invite les paroissiens à prier pour un nouveau défunt de la communauté.

     

    14-18 en Pays Cordais

    Photo de tranchée près de N.D. De Lorette en avril 1915 – photo prise par F. Lentz

     

    Ce vide s'installe dans les familles, les lieux de travail, les commerces devient une hantise. Surtout qu'il n'y a pas que les morts reconnus officiellement : les « disparus » réapparaissent quelquefois mais des mois plus tard parce qu'ils étaient simplement prisonniers, d'autres, déserteurs, sont passés à la clandestinité et on se garde d'en parlé à voix haute, parfois on entend dire qu'il y a eu des fusillés, comme Firmin Durand de Carmaux le 30 juillet 1915... Quatre longues années où les deuils deviennent d'autant plus insupportables qu'ils s'accumulent sur un espace social restreint : moins de 7000 habitants pour le canton, pas même 1500 pour Cordes après le départ des mobilisés.

    N'est-ce pas une invitation pour chacun de nous à dépasser les clichés, pittoresques ou effroyables, de cette Grande Guerre pour s'approcher du cœur de ces hommes et de ces femmes, de ces vieillards et de ces enfants, qui ont eu le courage de continuer à faire vivre le Pays Cordais ?

    Article paru dans Cordes Infos


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    14-18 une guerre « totale »

    Portail de la mairie de Cordes

     

    La guerre de 14-18 une guerre « totale » au sens où toute la nation devient combattante et où les populations de l'arrière ont autant d'importance que les poilus des premières lignes. Nous avons évoqué précédemment les femmes, puis les enfants. Parlons aujourd'hui d'une autre catégorie de combattants : Les élus municipaux.

    On a du mal à se rendre compte de l'énorme travail fourni par le conseil municipal au cours des années de guerre. Rappelons tout d'abord un handicap : au moment même où les problèmes à résoudre augmentent, le nombre des élus diminue suite à la mobilisation générale : sur quinze élus, cinq sont mobilisés. De plus, au début de 1918, le maire Jean-Louis Favarel décède : impossible de le remplacer avant la fin des hostilités. La tâche est tellement lourde qu'il est demandé à l'autorité militaire de nommer, pour un service partiel du conseil municipal, Ernest Tisseyre, élu cordais mobilisé comme réserviste mais détaché au Ministère de l'Agriculture.

    Les élus ont à mener la bataille sur trois fronts principaux. Le premier est celui des travaux habituels comme en temps de paix : ils sont rendus plus difficiles à cause du manque de travailleurs et de la montée des prix : un mur qui s'écroule ici, un égout bouché là, de vieux arbres qui menacent de bloquer un chemin en tombant, l'hygiène aux abattoirs qui ne répond plus aux normes... il n'y a pas de répit dans cette offensive aggravée du fait des lois nouvelles décrétées par le gouvernement et qui nécessitent beaucoup de temps et d'énergie, ne serait-ce que pour les étudier.

    La deuxième ligne de feu est faite d'impromptus qui viennent comme de soudaines salves d'artillerie : ce sont les demandes de la préfecture imposant une réaction immédiate non seulement pour obéir mais aussi pour donner le compte-rendu de leur exécution : vingt couvertures à rassembler immédiatement : il faut les acheter faute de pouvoir les trouver sur Codes même... organiser l'accueil d'une quarantaine de réfugiés qui arrivent à la gare de Vindrac... libérer une maison assez grande pour loger le contingent de prisonniers allemands... visiter chaque exploitation agricole pour voir si toutes les terres sont cultivées et envoyer à la préfecture la liste précise d'éventuelles friches... surveiller chaque foire, chaque marché hebdomadaire et faire connaître l'évolution des prix de basse... collecter les emprunts en franc-or pour la défense nationale, etc, etc... De plus, il faut toujours un élu pour accompagner les délégations militaires venant régulièrement réquisitionner des chevaux, des bœufs, des chiens, des céréales, du fourrage...

    Enfin et surtout il y a le combat permanent à mener contre la misère pour protéger autant faire se peut la santé des habitants les plus fragiles, notamment les personnes âgées. Les élus sont certes aidés par quelques personnes formant le Comité de bienfaisance qui recueillent les demandes d'aide et dont des propositions mais c'est à eux les élus à prendre les décisions au cas par cas. Cela occupe une part importante des réunions du conseil municipal sans parler du travail d'information en amont. En 1914, l'État a décidé que l'allocation mensuelle donnée aux « indigents » ne pouvait pas dépasser 20 francs.

    Le montant de l'allocation dépend de la situation réelle de tout un chacun, ce qui impose aux élus de connaître cette situation ; les comptes-rendus des séances du Conseil municipal montrent par leur précision qu'ils prennent cela très au sérieux. Il faut savoir d'ailleurs qu'ils sont très surveillés par l'administration préfectorale. C'est ainsi par exemple que, le 7 juin 1916 une lettre du préfet ordonne au maire de Cordes de supprimer l'allocation à la moitié environ des bénéficiaires, car leur nombre dépasse trop la moyenne du département ( !...). Et voilà les élus prenant la liste des personnes aidées et répondant au préfet pourquoi ils refusent de supprimer l'allocation à telle ou telle personne. Non seulement cela montre le sérieux avec lequel ils « défendent » les administrés, mais aussi donne une idée de leur charge de travail car ils ont à s'occuper ainsi, une par une, de quelques 71 personnes, et pour beaucoup, le montant de l'allocation varie de mois en mois selon l'évolution du coût de la vie.

    Ajoutons à ce nombre la liste des femmes enceintes dont la situation financière est fragile et qui perçoivent une allocation spéciale pour l'accouchement entre 1914 et 1918, elles sont au nombre de 49.

    Enfin n'oublions pas les urgences : à huit reprises les élus devront décider l'hospitalisation de malades à la dernière extrémité qu'on ne peut prendre en charge sur place, hospitalisation soit au Bon Sauveur d'Albi soir à l'hôpital de Gaillac. Et en 1914 les communications sont loi d'être aussi faciles qu'aujourd'hui !

    Article paru dans Cordes Infos


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