• Les silhouettes de guerre croquées par Pierre Poterin du Motel
     Les poilus de Poterin du Motel. D.C

     

    Combien de jeunes artistes ont été fauchés par la Grande Guerre ? Combien ont disparu avant de pouvoir réaliser l’œuvre qu’ils portaient en eux ? Pierre Poterin du Motel est de ceux-là. Mort au front, à 23 ans à peine, alors qu’il commençait à se faire remarquer grâce à ses talents de dessinateur. En 1921, l’écrivain Francis Carco cite son nom en égrenant la triste liste des « humoristes » tombés pour la France : « Déplorons ici la mort de Georges Omry, celles de Jean Morin (le fils de Louis Morin), de Starck, de Frédéric Puechmagre, de Jean Guiet, de Louis Busson, de Nollat, de Pierre Poterin du Motel, de Pierre de Coutouly, de Georges Drechsler »

    Pierre Poterin du Motel naît en 1895, dans une vieille famille de la noblesse qui a donné au pays nombre d’officiers et de médecins. Son père, Jean, fait cependant figure d’original, voire de vilain petit canard dans la dynastie. Vers 1900, il obtient par relation un emploi à Hanoï, en Indochine, et y déménage avec sa femme et leurs deux enfants, Pierre et Germaine. Mais il mène joyeuse vie et se met à l’opium, laissant son épouse et ses enfants dans la misère, selon les souvenirs familiaux.

    De retour à Paris, Pierre poursuit ses études au lycée Condorcet, et s’inscrit à l’Académie Julian, une école privée de peinture et de sculpture fondée par le peintre Rodolphe Julian, qui prépare les élèves à entrer aux Beaux-Arts.

    Son cursus s’arrête vite. Au début de la guerre, il s’engage. Il rejoint d’abord le 12e régiment de cuirassiers. Puis, à sa demande, il passe de la cavalerie à l’infanterie. Il devient aspirant au premier bataillon de chasseurs à pied. Sur les photos d’époque, c’est un grand jeune homme souriant, une petite fossette sur la joue, droit dans ses bottes.

     

    Les silhouettes de guerre croquées par Pierre Poterin du Motel
     Pierre Poterin du Motel vers 1916. DR

     

    Au front, il n’est pas le dernier à se battre. Sa bravoure lui vaut la médaille militaire et quatre citations à la croix de guerre. Il n’en continue pas moins à dessiner. Des tranchées, il envoie des dessins à ses amis, son cousin Robert resté dans le Maine-et-Loire, ainsi qu’au Salon des humoristes créé quelques années auparavant pour les dessinateurs et les caricaturistes. Deux de ses œuvres y sont exposées au printemps 1917 puis au printemps suivant.

    La planche ci-dessus est réalisée alors qu’il se trouve encore au « 12e cuir », comme il l’indique après sa signature. Les moyens à sa disposition sont rudimentaires. Du mauvais papier. Un peu de noir, d’ocre et de bleu. Mais le coup d’œil est là, le coup de crayon aussi.

    Tout le petit monde des boyaux est croqué sur le vif, et gentiment caricaturé. Le cycliste, les guetteurs qui baillent, les « huiles ». Les hommes de la « 14e escouade du Génie » en train de préparer leur matériel. Le cuistot, assis sur son seau devant la lessive qui fume. Les dératiseurs déposant de la mort-aux-rats dans une fente, alors qu’un rat trotte à un autre endroit du dessin. Les « terribles torriaux », un jeu de mot d’époque sur les « territoriaux », ces hommes de 35 à 50 ans mobilisés pour aider l’armée d’active. Les agents de liaison. Un grand soldat des transmissions aux faux airs de « Monsieur Hulot » avec sa pipe au bec…

     

    Les silhouettes de guerre croquées par Pierre Poterin du Motel


     

    L’ambiance paraît bonhomme, comme si les « Boches » étaient loin. Ils rattrapent vite le jeune dessinateur. En septembre 1918, les armées alliées lancent une offensive pour reprendre du terrain sur les Allemands dans le secteur de Sommepy, en Champagne. La ligne de front n’y avait pratiquement pas bougé depuis septembre 1915. Les combats durent des jours et des jours. Les Français finiront par franchir les tranchées allemandes et prendre la « crête d’Orfeuil ». Mais le sergent Poterin du Motel ne voit pas cette victoire. Il meurt le 30 septembre, dans une ambulance, après avoir assuré un service de liaison pendant une attaque devant Sommepy. « Tombé glorieusement au champ d’honneur », selon la formule consacrée. L’armistice est signé moins de deux mois plus tard.

    Article paru dans le blog du journal Le Monde


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