• Sur les traces du docteur Schweitzer au Gabon

     

    Située au Gabon, en plein cœur de la forêt équatoriale, la ville de Lambaréné abrite toujours l’œuvre du docteur Schweitzer. L’hôpital, où l’on peut encore visiter l’ancienne maison du célèbre médecin alsacien, accueille 20 000 patients chaque année. Un héritage menacé par le manque de financements…

     

    Sur les traces du docteur Schweitzer au Gabon

     

    Contrairement à l’époque du bon Dr Schweitzer, on n’arrive plus à l’hôpital par le fleuve Ogouée, envahi par les moustiques, mais par la route, sur laquelle il faut éviter les nids-de-poule pour ne pas exploser un pneu. Impossible de se perdre ici, même si l’humidité omniprésente et le soleil d’Afrique ont à moitié effacé les panneaux indiquant la direction du dispensaire, créé au début du XXe siècle par le médecin alsacien. Il suffit de demander aux gens que l’on croise : l’hôpital est une institution, tout le monde la connaît.

    Finalement, au détour d’un virage, à quelques mètres de la rive, on voit apparaître les anciennes bâtisses construites en bois. Le décor n’a que peu changé. C’est ici que le Dr Schweitzer officia entre 1913 et 1965, date de sa mort. Le travail d’une vie auprès des plus pauvres, qu’il n’a jamais quitté : Albert Schweitzer est enterré là, près de l’ancien dispensaire, à côté de son épouse, de sa fille et de ses plus proches collaborateurs.

     

    Sur les traces du docteur Schweitzer au Gabon

     Situé sur la rive droite du fleuve Ogouée à Lambaréné, l’hôpital se trouve à 220 km au sud-ouest de la capitale gabonaise, Libreville. (Photo : Gautier Demouveaux)

     

    Sur les traces du docteur Schweitzer au Gabon

    Photo prise en 1963 du Dr Albert Schweitzer (1875-1965), marchant dans l'enceinte de l'hôpital de Lambaréné où il exerçait. 35 ans après sa mort, le nom du célèbre médecin, prix Nobel de la Paix en 1952, fait désormais partie du patrimoine gabonais, où sa mémoire est devenue un excellent produit pour promouvoir le tourisme à Lambaréné. (Photo : UPI/AFP)

     

    Un site classé par l’Unesco

    C’est Léonie Bivigou-Makoundz qui se charge de nous faire visiter la partie historique de l’hôpital Schweitzer, classée depuis 2009 sur la liste indicative du patrimoine mondial de l’Unesco. On découvre alors les anciens quartiers du médecin français, son piano (il était mélomane), son lit sous lequel on aperçoit ses malles, « où ses propres affaires sont encore rangées, précise la guide. Ici, tout est d’origine ! »

    On aperçoit en effet encore son rasoir, son stéthoscope, son armoire à pharmacie, mais aussi ses livres, à côté de son bureau… « Il s’asseyait sur un tabouret pour garder la colonne vertébrale bien droite et ne pas somnoler. Et de là il pouvait avoir la vue sur les mouvements des différents malades et soignants, ainsi que sur le fleuve. »

    Au porte-manteau, sont encore accrochés ses tabliers, « le bleu pour le bricolage, le blanc pour la médecine ! », et son incontournable chapeau, « qu’il portait toujours, pour éviter l’insolation ».

     

    Sur les traces du docteur Schweitzer au Gabon

    Le bloc opératoire de l’ancien hôpital. Il a été financé par le prince Rainier de Monaco, et fonctionnait sur groupe électrogène, une prouesse pour l’époque, au milieu de la forêt équatoriale. (Photo : Gautier Demouveaux)

     

    Sur les traces du docteur Schweitzer au Gabon

    Le bureau du Dr Schweitzer. (Photo : Gautier Demouveaux)

     

    Sur les traces du docteur Schweitzer au Gabon

    L'hôpital qu'Albert Schweitzer développe dans la forêt équatoriale au bord de l'Ogooué à partir de 1913 le fait connaître dans le monde entier. (Photo : Wikimédia Commons)

     

    On pourrait presque s’attendre à voir apparaître le docteur d’un instant à l’autre ! Si les bâtiments historiques ne sont plus en activité, une partie d’entre eux ont été transformés en musée, et l’autre en chambres d’hôtes qui accueillent chaque année près de 3 500 touristes, de tous les continents.

    Une personnalité internationale

    « Albert Schweitzer est né à Kaysersberg en Alsace, le 13 janvier 1875. Sa vocation médicale fut tardive, à l’âge de 30 ans. Il s’était d’abord orienté vers la vie religieuse. Docteur en philosophie et en théologie, il voulait devenir missionnaire dans le cadre des missions protestantes », raconte Léonie Bivigou-Makoundz. Mais les places sont chères, et on n’a pas besoin des services d’un pasteur en plus au Gabon.

    « Après avoir lu l’article d’un missionnaire en poste ici, dans lequel ce dernier parlait du manque de médecins au Gabon, il démissionne en 1905 de son poste de professeur à la faculté de théologie de Strasbourg, et commence ses études de médecine. En 1912, il prépare sa thèse et se marie, avant de préparer son départ pour l’Afrique, quelques mois plus tard. » Débarquant à Port-Gentil, le principal port à l’époque, c’est en pirogue, à la rame, qu’il débarque le 16 avril 1913 à Lambaréné, et crée son dispensaire.

     

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    Théologien, philosophe, médecin, Albert Schweitzer était aussi un grand musicien… (Photo : Gautier Demouveaux)

     

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    La maternité compte plus de 1300 naissances chaque année. (Photo : Fondation Internationale de l’hôpital Schweitzer)

     

    Son travail auprès des populations locales est salué dans le monde entier, de nombreuses personnalités suivent son action, comme en témoignent les photos et lettres exposées ici : Jean Rostand, Albert Einstein, l’abbé Pierre, mais aussi le prince Rainier de Monaco, qui financera la totalité du bloc opératoire. Albert Schweitzer met sa notoriété au service de son œuvre. Et quand, en 1952, il est récompensé du prix Nobel de la Paix, l’argent qu’il reçoit sert à construire un quartier dédié aux lépreux qu’il soigne.

    « Le respect de la vie »

    « L’idée fondamentale du docteur Schweitzer consistait en le respect de la vie. Il fallait soigner tous ceux qui voulaient vivre, explique la guide. Et actuellement nous marchons dans cette dynamique, car quand les malades arrivent, c’est d’abord les soins, la facture après. Même si ces derniers n’ont pas de quoi payer, nous les accueillons, nous sommes tenus par la charte de valeurs du docteur. »

     

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    Le respect de la vie du Dr Schweitzer le poussait également à recueillir et soigner les animaux blessés. Une tradition qui se perdure encore aujourd’hui. (Photo : Gautier Demouveaux)

     

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    Jean-Pierre Salinière, le nouveau directeur de l’institution, est arrivé début janvier. (Photo : Gautier Demouveaux)

     

    Un établissement de santé bien particulier, comme l’avoue Jean-Pierre Salinière, le directeur – français – tout fraîchement arrivé : « C’est vrai que c’est une fierté que de diriger une telle institution. On constate qu’il y a un vraiment un esprit « schweitzerien », c’est-à-dire cette relation qu’ont les gens à cet hôpital qui ressemble à un village. C’est d’ailleurs son nom, ici ! Il y a la structure sanitaire, mais aussi une partie où les gens habitent, des écoles, une crèche, ainsi que la partie historique transformée en musée et en espace hôtelier. »

    « Bref, poursuit Jean-Pierre Salinière, c’est une structure hospitalière dans un ensemble plus vaste, qui est régi par des principes comme la solidarité… Il faut dire qu’Albert Schweitzer était un précurseur dans de nombreux domaines : il a créé une ONG (organisation non-gouvernementale) humanitaire avant l’heure, c’était quelqu’un de très versé dans l’écologie, le respect de la vie… Mais d’un autre côté il y a aussi la réalité : on se trouve dans un hôpital dans une situation financière difficile, et en même temps victime de son succès ! »

    20 000 consultations par an

    En effet, l’hôpital Schweitzer demeure une référence dans la région : « Nous couvrons l’ensemble des secteurs hospitaliers, de la médecine générale à la chirurgie en passant par la maternité et la pédiatrie. Nous opérons environ 5 000 personnes par an, et réalisons près de 20 000 consultations. Et nous accueillons tout le monde, les personnes aisées qui savent qu’elles seront bien soignées, autant qu’on puisse l’être dans les conditions générales du territoire, mais aussi les « économiquement faibles », qui n’ont pas les moyens de régler les soins. »

    Une partie de la facture est réglée par l’État gabonais, qui a mis en place l’aide médicale universelle, « mais cette dernière est saturée, souligne Jean-Pierre Salinière, et les remboursements sont plafonnés. De plus, Schweitzer avait dit : « Je suis ouvert à tous… » Nous recueillons donc aussi des cas sociaux, mais aussi des veuves, des orphelins ou des enfants abandonnés. Nous logeons et subvenons aux besoins de ces personnes, grâce à l’aide de la fondation internationale Schweitzer. »

     

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    L’entrée de « l’hôpital moderne »… (Photo : Gautier Demouveaux)

     

    Sur les traces du docteur Schweitzer au Gabon

    Décédé le 4 septembre 1965 à l’âge de 90 ans, Albert Schweitzer est enterré près de l’ancien dispensaire, aux côtés de sa femme, de sa fille unique et de ses proches collaborateurs. (Photo : Celia Lebur / AFP)

     

    Malgré la subvention de l’État et l’aide des associations européennes, cela ne suffit pas : l’institution a cumulé une dette de près de 3 milliards de francs CFA (4,6 millions d’euros). Les salaires de janvier ont été payés avec plus d’un mois de retard, et le personnel (270 agents – médecins, infirmiers et personnel technique) menacent de faire grève. « Nos fournisseurs nous demandent aujourd’hui de payer cash les commandes de médicaments. En même temps la subvention de l’État gabonais tarde à tomber, et avec la crise pétrolière, son montant est revu à la baisse… Nous sommes à la croisée des chemins, je pense que les deux prochaines années seront l’occasion d’une réflexion sur le financement et la répartition des rôles entre les associations européennes et l’État gabonais… Tout en préservant l’esprit du docteur Schweitzer. »

    Un défi de taille, quand on voit l’état de « l’hôpital moderne », construit en 1981, complètement défraîchi et l’état du matériel. Le centre hospitalier fait pâle figure à côté des bâtiments du Cermel, le Centre de recherche sur les maladies tropicales, financé en 2006 par le Gabon, qui dépend lui aussi de la fondation Schweitzer.

    Cet établissement de pointe dans la lutte contre le paludisme pourrait servir de locomotive à l’ensemble de l’institution pour attirer les financements de mécènes et d’institutions internationales. Tout comme l’aspect touristique et historique autour de l’héritage humanitaire du docteur Schweitzer, qui pourrait attirer, espère le directeur, beaucoup plus de visiteurs…

    Article paru dans Ouest-France


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