• Solitude, la mulâtresse

     

    Solitude est née en Guadeloupe aux environs de 1770. Elle est le fruit du viol de sa mère, Bayangumay, par un marin blanc sur le bateau qui la déportait aux Antilles. Malgré son métissage, l'enfant devient esclave et en connaîtra les affres pendant plus de vingt ans.

    De l'autre côté des eaux salées, la France connaît sa Révolution. La terreur du peuple bourgeois se répercute jusqu'aux Antilles, où des émeutes commencent à agiter la Guadeloupe. À Paris, dans l'euphorie de la liberté, l'abolition de l'esclavage dans les colonies françaises est décrétée le 4 février 1794, malgré la forte opposition des planteurs blancs qui en contrôlent l'économie. Mais juste après que la nouvelle parvienne en Guadeloupe, celle-ci tombe sous l'occupation anglaise. Des esclaves prennent alors les armes pour lutter contre le nouvel envahisseur.

    Solitude, ayant goûté à la liberté pendant quelques jours, s'enfuit pour vivre avec une communauté marronne (le marronnage était le nom donné à la fuite d'un esclave hors de la propriété de son maître). En 1802, Napoléon Bonaparte rétablit l'esclavage et charge tous les généraux de mater les rebelles et de remettre les anciens esclaves aux fers.

    Solitude, enceinte et souhaitant une vie meilleure que la sienne à son enfant, se rallie à l'appel de Louis Delgrès, l'abolitionniste métis dont les proclamations sont placardées sur tous les arbres et murs de l'île : « La résistance à l'oppression est un droit naturel. La divinité même ne peut être offensée que nous défendions notre cause : elle est celle de la justice et de l’humanité. »

    La mulâtresse se souvient des viols, des garrots, des colliers de fer dont les pointes empêchent de dormir, des cachots et de la potence. Elle est décidée à lutter jusqu'à la mort pour ne plus jamais avoir à remettre des fers à ses pieds. Depuis son plus jeune âge, sa mère lui a appris à dompter la révolte qu'elle sentait gronder en elle à chaque coup reçu, mais elle estime qu'il est temps de la laisser exploser.

    Alors, parmi les femmes qui, aux côtés des hommes, luttent dans cette guerre inégale, Solitude se tient débout, le pistolet à la main.

    Le 8 mai 1802, après 15 jours de siège sanglant, les combattants désespérés décident de miner le manoir qui leur sert d'abri. Ils décident d'un commun accord d'y attendre la mort lors d'un dernier face à face avec l'ennemi. Les quelque 300 martyrs se tiennent par la main, les femmes serrent leurs enfants contre leurs seins et tous clament une dernière fois : « La mort plutôt que l'esclavage ». Le silence qui suit est brisé par une énorme explosion. Sous les corps déchiquetés, Solitude a survécu. Sa grossesse lui évite la pendaison mais pas l'enfermement. Pendant 5 mois, elle est incarcérée. Dehors, la traque des sympathisants de la rébellion continue, les rebelles sont fusillés ou brûlés sur la place publique. Le 28 novembre 1802, celle qui s'est battue et qui mourra pour la liberté donne naissance à un nouveau-né qu'elle laissera le lendemain matin à l'esclavage.


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