• Où l’on apprend qu’un caprice peut avoir d’heureuses conséquences.

     

    1796. Quand le fondateur du Musée des monuments français, Alexandre Lenoir, a une idée en tête, il ne renonce pas facilement !

    Ainsi quand il veut récupérer les vitraux de la Sainte-Chapelle du château de Vincennes pour les exposer dans son musée à Paris, on finit par les lui accorder. Lenoir ne sait pas encore qu’il les a sauvés d’une destruction certaine…

     

    Incassables ?
     

    Raymond du Temple et Pierre de Montereau, Sainte-Chapelle, 1379-XVIe siècle, Château de Vincennes. Photo : Philippe Payart Voir en grand 

     

    Pourquoi dépouiller la Sainte-Chapelle de ses trésors ? C’est qu’en pleine Révolution française, la chapelle n’en a plus besoin ! Le lieu ne sert plus qu’à des rencontres politiques.

    Lenoir en est certain : les vitraux seraient davantage mis en valeur dans son musée. D’ailleurs, ces œuvres de la Renaissance ont déjà été bien abîmées au début de la Révolution… Mis bout à bout, les morceaux restants ne remplissent plus que sept fenêtres.

     

    Incassables ?

    Raymond du Temple et Pierre de Montereau, Intérieur de la Sainte-Chapelle, 1379-XVIe siècle, Château de Vincennes. Photo : DRX Voir en grand 

     

    Ces vitraux sont pourtant une merveille de l’art de la Renaissance. Très colorés, ils dépeignent un récit de la Bible, l’Apocalypse. Comme un immense livre d’images, ils racontent les malheurs s’abattant sur le monde. Mais ce sont eux qui ont failli connaître un sort funeste…

    En effet, vingt ans plus tard, en 1816, la poudre conservée dans la chapelle provoque une explosion. Toutes les fenêtres sont soufflées. Sauf les vitraux, toujours à l’abri à Paris. Ouf ! On peut ensuite les réinstaller dans la Sainte-Chapelle en 1820.

     

    Incassables ?

    Philibert Delorme, Les Saulteraux, 1551-1559, vitrail, Sainte-Chapelle, Château de Vincennes. Photo : © Patrick Cadet / Centre des monuments nationaux Voir en grand 

     

    Ce n’est pas la seule fois que ces chefs-d’œuvre sont sauvés par hasard. En 1944, même scénario : les vitraux, évacués au début de la Seconde Guerre mondiale pour leur protection, échappent à un incendie.

    En 1999, par miracle, ils sont les seuls à être épargnés par la tempête. Souvent attaqués, jamais détruits, les vitraux de la Sainte-Chapelle ont traversé les siècles.

     

    Incassables ?

    La Sainte-Chapelle du château de Vincennes après les destructions de 1944. Photo : © Centre des monuments nationaux Voir en grand 

     

    Incassables ?
     

    Découvrir le château de Vincennes en vidéo

    https://www.youtube.com/watch?v=dNOWXtjL_dI&feature=youtu.be 

     

    Article paru dans Artips


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  • Où l’on découvre que la liberté peut entrer dans des tubes.

     

    Aujourd’hui, si un artiste veut peindre en pleine campagne, pas de problème. Une fois installé, il lui suffit d’ouvrir un tube de peinture : elle en sort directement, toute prête. Puis il referme le bouchon pour que la peinture ne sèche pas.

    Cela paraît si évident qu’il est difficile d’imaginer comment les peintres se débrouillaient avant.

     

    Des vessies bien pleines

    John Singer Sargent, Une Étude à l’extérieur, 1889, huile sur toile, 65 x 80 cm, Brooklyn Museum, New York

     

    Car avant cette invention, c’était une autre paire de manches ! Revenons au début du XIXe siècle. Bien souvent, les artistes achètent la peinture à un marchand de couleur : pour la conserver et l’empêcher de sécher, il n’existe pas de tubes en métal.

    La peinture est donc traditionnellement conservée dans… des vessies de porc !

     

    Des vessies bien pleines

    Deux vessies à peinture © Lefranc & Bourgeois

     

    Cette petite poche est ensuite scellée, il faut la percer pour faire sortir la peinture.
    Grâce à cela, le peintre anglais Constable peut transporter la peinture hors de l’atelier pour aller peindre les nuages. Mais ce système est peu pratique et l’étanchéité laisse à désirer.

     

    Des vessies bien pleines
    Boite des vessies à peinture du peintre Constable, 1837 © Tate

     

    Heureusement, avec le développement de la technologie du métal, les choses changent.
    En 1841, le peintre américain John Goffe Rand imagine un petit cylindre en étain, fermé à une extrémité. Grâce à une pince, on peut déplier et replier l’ouverture. Si le procédé est plus étanche, il n’est toujours pas très pratique…

     

    Des vessies bien pleines

    Paul Cézanne, Montagne Sainte-Victoire et le viaduc de la vallée de l’Arc, 1882-1885, huile sur toile, 65 x 81 cm, Metropolitan Museum of Art, New York

     

    Heureusement, avec le développement de la technologie du métal, les choses changent.

    En 1841, le peintre américain John Goffe Rand imagine un petit cylindre en étain, fermé à une extrémité. Grâce à une pince, on peut déplier et replier l’ouverture. Si le procédé est plus étanche, il n’est toujours pas très pratique…

     

    Des vessies bien pleines

    John Goffe Rand, Les premiers tubes de peinture et la pince pour les refermer, 1841 © Lefranc & Bourgeois

     

    Différents fabricants tentent d’améliorer l’invention. Il faut attendre 1865 pour que la maison Lefranc mette au point un système de bouchon à pas de vis parfaitement hermétique. Depuis, la forme du tube n’a pas bougé !

     

    Des vessies bien pleines

    Vieux tubes de peinture avec un bouchon à pas de vis © Lefranc & Bourgeois

     

    La maison Lefranc existe toujours ! Elle est aujourd'hui connue sous le nom de Lefranc et Bourgeois. Depuis 1720, l’entreprise imprime  sa marque dans l’histoire de l’art.

    À l’écoute des artistes, ses chimistes mettent au point de nouvelles couleurs lumineuses et durables. C’est aussi grâce à eux qu’existe le fameux tube de peinture hermétique !

     

    Des vessies bien pleines

    Maison A.Lefranc, Quelques exemples de tubes de peinture © Lefranc & Bourgeois

    Article paru dans Artips


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  • Où l'on découvre que les villes aussi ont le droit à un enterrement.

     

    Hiver 1968. Pendant la nuit, un terrible tremblement de terre secoue une vallée sicilienne. Le village de Gibellina est particulièrement touché : les survivants quittent leurs maisons en ruines. Ce triste décor reste inhabité pendant une vingtaine d'années...

     

    Bloqués

    La ville de Gibellina après le tremblement de terre, 1968 Voir en grand

     

    Un artiste, ému par l'histoire de la ville, décide de lui rendre hommage.
    Il s'agit d’Alberto Burri, un artiste italien qui pratique aussi bien la peinture que la sculpture. Cette fois, c'est avec un matériau inhabituel qu'il va réaliser sa gigantesque œuvre d'art.

     

    Bloqués

    Alberto Burri, Il Grande Cretto 1, 1984-2015, ciment, 1,5 × 350 m et 280 m2, Gibellina © ADAGP, Paris, 2016 Voir en grand

     

    Pour lui, il faut stopper la dégradation du village. Burri décide donc d'immobiliser les ruines dans d'énormes blocs de ciment.

    Vue du ciel, sa construction est irréelle : parmi le patchwork de champs verts, on distingue un immense carré gris. Les imposantes masses de ciment, qui suivent le plan de l’ancienne ville, s'étendent sur une surface d'une douzaine d'hectares !

     

    Bloqués

    Alberto Burri, Il Grande Cretto 1, 1984-2015, ciment, 1,5 × 350 m et 280 m2, Gibellina © ADAGP, Paris, 2016 Voir en grand

     

    Par sa démarche, l'artiste s'inscrit dans le "land art", un courant artistique qui utilise la nature comme matériau et comme sujet. La ville cimentée conçue par Burri, au milieu des champs et des arbres, fait désormais partie de la vallée.

     

    Bloqués

    Alberto Burri, Il Grande Cretto 1, 1984-2015, ciment, 1,5 × 350 m et 280 m2, Gibellina © ADAGP, Paris, 2016 Voir en grand

     

    Ce nouveau décor pourrait sembler austère, un peu comme un cimetière. C'est justement la volonté de l'artiste : "Nous avons fait un immense linceul blanc de ce lieu afin qu’il reste un souvenir éternel de cet événement".

    Aujourd'hui, il est donc toujours possible de déambuler dans les ruelles de Gibellina. Et les ruines ne risquent plus de bouger !

     

    Bloqués

    Alberto Burri, Il Grande Cretto 1, 1984-2015, ciment, 1,5 × 350 m et 280 m2, Gibellina © ADAGP, Paris, 2016 Voir en grand

     

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    Alberto Burri dans son studio, 1982 © Aurelio Amendola, Pistoia, Italy

    Article paru dans Artips


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    Il y a 43 ans…

     

    En 1973, le chantier de la tour Montparnasse s’achève et Le Figaro raconte les débuts des premiers locataires. A l’époque déjà, ils appréciaient la vue sur Paris qui n’est pas gâchée par la tour elle-même.

     

    Il y a 43 ans…

     

    En ce mercredi 19 septembre 1973, Le Figaro évoque les nouveaux « Montparnos » (référence aux groupes d’artistes qui vivaient dans le quartier), ces précurseurs qui sont les premiers occupants de la tour Montparnasse et ses 210 mètres de haut, tout fraîchement achevée. Une expérience qui rend le journaliste Jacques Nosari particulièrement lyrique. « La tour Maine-Montparnasse n’est plus seulement cet objet inanimé, admiré par les uns, détesté par les autres, écrit-il. Elle a maintenant une vie intérieure et un cœur commercial qui depuis vendredi bat le rappel d’une nouvelle clientèle. Elle a ses premiers habitants encore un peu perdu dans cette Babel de l’an 2000, encore un peu hésitants, se déplaçant avec des précautions de cosmonautes foulant une nouvelle planète. Ils ne sont que 700 précurseurs sur les dix mille qui peupleront la tour quand tout sera terminé. »

     

    Auscultés par des spécialistes en sociologie urbaine

    Pour cette grande nouveauté, les premiers occupants sont de véritables cobayes « dont une armée de spécialistes en sociologie urbaine surveille les réactions physiques et morales », précise l’article. On y apprend aussi que les doyens des lieux « appartiennent à l’état-major du multi-restaurateur Jacques Borel, installé aux 27ème et 28ème étage depuis déjà trois mois » et qui va bientôt « manger un étage de plus »

     

    Il y a 43 ans…

     

    Malgré l’attrait de la modernité l’enthousiasme est loin d’être général ou béat. « J’étais absolument contre cette tour qui dépare la rive gauche, explique ainsi l’un des occupants. La meilleure façon de ne pas la voir, c’est encore d’être dedans. » Parmi les autres récriminations, le journaliste relève: « C’est la pagaille », « l’accès aux parkings est une prouesse » ou encore « la climatisation fonctionne mal ». Plus de 40 ans après, on peut encore formuler ces critiques à l’encontre de bien des tours.

     

    54.000 m² de carreaux à nettoyer

    Il n’en reste pas moins que cet immense chantier qui touche à son terme suscite la curiosité des habitants de la capitale. « La tour a connu durant ce week-end un énorme succès de curiosité, précise le journaliste. Elle a été un but de promenade pour des milliers de Parisiens. Affluence qui rappelle un peu les premiers jours d’Orly. »

     

    Il y a 43 ans…

     

    Et pour les amateurs de chiffres, on apprend qu’une escouade de laveurs de carreaux en cours de formation aura 54.000 m² à nettoyer tandis qu’un « ordinateur mis en place sous la tour est chargé de surveiller 24 heures sur 24 les 2500 points névralgiques du bâtiment ». Quant aux ascenseurs, leurs concepteurs promettaient déjà à l’époque des appareils « intelligents grâce à un système électronique complexe », capables de gravir les 58 étages en 40 secondes et qui devrait éviter toute attente de « plus de 30 secondes ». Des bien belles promesses.

    Article paru dans Le Figaro


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     Il y a 157 ans…


    En 1859, Le Figaro s’amuse à souligner dans une chronique que l’abandon des anciennes mesures duodécimales au profit du mètre est à l’origine d’une architecture pratique, efficace mais sans génie.

    Il y a 157 ans…

     

    En ce 3 septembre 1859, Le Figaro percevait déjà la « décadence de l’architecture moderne ». Mieux que cela, il en avait décelé la cause. Une origine insoupçonnée : l’adoption du système métrique, dont le principe avait été adopté dès la Révolution française en 1789. Le chroniqueur Paul d’Ivoi y fait cette découverte lors d’un congrès d’archéologie qui se tenait à Strasbourg.

    « C’est notre funeste système décimal des poids et mesures qui a tué l’architecture, écrit-il. Le système décimal est commode, il est vrai, pour compter, pour multiplier, pour diviser il est exact, il rend impossible les fraudes, il est uniforme et régulier, il a des avantages incontestables, il n’est funeste qu’à l’architecture. L’ancien système de mesures, au contraire, le système duodécimal, le pied, se divisant en douze pouces, le pouce en douze lignes, le sou en douze deniers, etc. était favorable à l’architecture. »

    « Quiconque a adopté le système décimal n’a pas la foi, et ne peut pas faire un bon architecte. »

    Et pourquoi donc ? Tout simplement parce que 10 n’est divisible que par 1, 2 et 5 alors que 12 serait « un nombre sacré ». « C’est le nombre des apôtres il est divisible par un, par deux, par trois, par quatre et par six, poursuit l’article. Trois est le nombre sacré par excellence, c’est le nombre divin ; c’est de l’idée de la Trinité que découle l’ogive, gloire de l’architecture gothique. Quiconque a adopté le système décimal n’a pas la foi, et ne peut pas faire un bon architecte. »

    Concluant son explication, l’article relate la mésaventure d’un architecte strasbourgeois, défenseur du mètre. « Vous mesurez vos constructions avec un mètre et non pas avec une toise ? Allez, vous n’avez pas la foi ; vous ne pouvez être qu’un architecte de décadence. » Voilà pour ceux qui ignoraient les malheurs que nous a attirés le mètre.

    Article paru dans Le Figaro


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