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« J’ai poursuivi mon travail comme si j’étais guidé par un esprit, quelque chose qui me commande. » Raymond Isidore
Chartres, années 1930. Raymond Isidore, balayeur de cimetière, vient d’achever la construction de sa maison. Cette dernière, de taille modeste mais confortable, est un peu simple à son goût… Un jour, en rentrant dans son nouveau chez-lui, il annonce à sa compagne : « J’ai une idée pour la décorer ! »
Cette idée va lui prendre du temps. Pendant une trentaine d’années, Raymond Isidore parcourt sa ville avec une petite carriole. Parfois, il s’arrête et fouille une poubelle.
Drôle de cargaison que celle qu’il transporte : ce sont des débris d’assiettes et de poteries, des morceaux de verre, des tessons de bouteille, des flacons de pharmacie récoltés ici et là…Raymond Isidore, dit « Picassiette » devant la Maison Picassiette
À quoi vont lui servir tous ces débris de vaisselle ? À recouvrir l’intégralité de sa maison !
Une trentaine d'années plus tard, après 29.000 heures de travail et 15 tonnes de céramique, la Maison Picassiette est méconnaissable. Et Isidore ne s’est pas arrêté là.
Raymond Isidore, dit “Picassiette”, La cour noire, vers 1930-1964, Maison Picassiette, Chartres
Une chapelle appuyée contre la maison, un trône dans le jardin, un tombeau au centre de la cour, des scènes bibliques représentées un peu partout… chaque centimètre est recouvert de céramique !
Même la machine à coudre de sa compagne n’a pas échappé à l’élan créatif d’Isidore.
L’œuvre de cet artiste atypique est caractéristique de ce qu’on appelle « l’art brut ».Raymond Isidore, dit « Picassiette », La machine à coudre de son épouse, vers 1930-1964,Maison Picassiette, Chartres
Pris de délires mystiques dans les dernières années de sa vie, celui qui se faisait appeler « Picassiette » subissait régulièrement les railleries de ses voisins.
Qu’importe, Isidore a transformé sa maison en un puissant témoignage de vie : « Je voudrais qu’il y ait des fleurs partout, partout, des fleurs, des oiseaux, des êtres inoffensifs ».Raymond Isidore, dit « Picassiette », vers 1930-1964, Maison Picassiette, Chartres
Pour en savoir plus :
Atelier de Robert Doisneau, La Salle à manger de Raymond Isidore, 1953,Jordan Schnitzer Museum of Art, Eugene
Maison de Picassiette : http://www.ina.fr/video/CAB95025014
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En flânant dans Paris, on peut facilement tomber sur l’une d’entre elles. Ces fontaines vert-sapin sont devenues célèbres sous le nom de « fontaines Wallace ». Leur présence est si familière qu’elles en deviennent invisibles… Que font ces fontaines au nom anglais dans les rues de la capitale ?
Il faut remonter à la fin du XIXe siècle. En 1871, Paris se relève péniblement d’une défaite contre la Prusse et d’une guerre civile, la Commune. Ces deux événements historiques violents ont privé la capitale d’eau potable.
Charles-Auguste Lebourg, Fontaine Wallace, Paris (photo Mbzt, CC BY-SA 3.0)Le Sir anglais Richard Wallace, présent à Paris dans ces moments difficiles, a été marqué par cette terrible pénurie… Le philanthrope décide d’offrir à la ville un beau cadeau : cinquante fontaines d’eau potable, qu’il finance en intégralité !
Grand amateur d’art et esthète, Sir Wallace veille au moindre détail. Il dessine lui-même le modèle, puis en confie la réalisation au sculpteur Lebourg. Les fontaines se distinguent par quatre cariatides, des femmes-colonnes gracieuses entourant le filet d’eau.
Richard Wallace 1857, photographie, The Wallace Collection, LondresEn 1872, la toute première « fontaine Wallace » est installée boulevard de la Villette. Et elle est immédiatement adoptée par les Parisiens ! Surnommée « la brasserie des quatre femmes », chaque fontaine comporte de petits gobelets d’étain retenus par une chaînette.
Cet accès à l’eau devient bien vite un lieu de rencontre. Les Parisiens viennent y discuter, partager leurs idées et surtout, les gobelets en étain !
Agence Rol, personnes se désaltérant à une fontaine Wallace à Paris lors de la revue du 14 juillet 1911, photographie (négatif sur verre), 13x18 cm, Bibliothèque nationale de France, Paris
Aujourd'hui, les gobelets ont disparu pour des raisons d’hygiène mais l'eau est toujours potable. Les fontaines ont essaimé dans le pays et se sont exportées à travers le monde.
Certains particuliers sont même allés jusqu’à en installer dans leur propre jardin !
Charles-Auguste Lebourg, fontaine Wallace, Paris, Détail des cariatidesGeorges Lafosse, caricature de Sir Richard Wallace en fontaine Wallace, gravure 1875
Article tiré d’Artips
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Inauguré en 1856 sous Napoléon III, ce guerrier de pierre est aujourd'hui le repère des crues de la Seine. Mais le Zouave est plus qu'une simple sonde. C'est un personnage historique qui s'est fait une place dans la culture française.
© BERTRAND GUAY/AFP Le Zouave du Pont de l'Alma est un repère pour tous les Parisiens pour mesurer le niveau de la Seine.
Adossé à la pile du Pont de l'Alma, appuyé sur son fusil, droit dans ses bottes qui font bouffer sa large culotte, et quelques fois les pieds dans l'eau, le Zouave scrute l'eau de la Seine. Il est devenu, année après année, la sonde officielle des crues du fleuve. Et depuis quelques jours, il est la star du moment dans la capitale. Inauguré en 1856 par Napoléon III, ce soldat de pierre a été sculpté par Georges Diebolt. Comme son nom l'indique, il représente un soldat des « zouaves », nom donné aux soldats des régiments français d'Afrique du Nord qui ont combattu pendant la guerre de Crimée entre 1853 et 1856.
S'il a été placé sur le pont du VIIème arrondissement de Paris, ce n'est pas un hasard. Napoléon III avait voulu célébrer la victoire de la bataille de l'Alma. Sur les rives de ce fleuve de Crimée, s'est joué, le 20 septembre 1854, ce qui est considéré comme la première grande bataille de cette guerre, où les Russes ont été vaincus par les forces françaises, alliées aux Britanniques et à l'Empire ottoman.
Un personnage historique...
Au cours de cette bataille, les forces zouaves ont joué un rôle prépondérant. À l'origine, ce Zouave nommé Octave dans la chanson de Serge Reggiani, Le Zouave du Pont de l'Alma, était accompagné de trois autres soldats : un artilleur, un grenadier et un chasseur. Mais quand le pont a été reconstruit en acier au début des années 70, ces trois compagnons furent retirés et il resta seul à veiller sur les crues de la Seine.
Car aujourd'hui sa principale fonction est d'estimer la hauteur de l'eau et prévoir quelles seront les conséquences de la crue. La statue mesure 5,2 mètres de haut et pèse près de 8 tonnes. Selon la tradition, quand le Zouave a les pieds dans l'eau, cela veut dire que la Seine est en crue, mais que celle-ci n'est pas dangereuse. Chaque partie de son corps, (chevilles, genoux...), est ensuite un repère pour établir l'importance de la montée du fleuve. Quand ses genoux sont dans l'eau, les quais de Seine sont fermés, et la navigation interdite. Il est donc devenu habituel pour les Parisiens de scruter jusqu'où le Zouave est immergé. D'autant plus que l'historique guerrier évolue avec les époques. En effet, il possède aujourd'hui son propre compte Twitter, où s'entremêlent humour et informations officielles.
Mais aussi culturel
Pourtant, le Zouave n'est pas un indicateur très fiable. Entre la crue que Paris a connue en 1910, où la Seine avait atteint les 8,62 mètres, et celle de 2016, la statue a été relevée de plusieurs dizaines de centimètres lors de la reconstruction du Pont de l'Alma en 1974. Les comparaisons qui sont faites sont, par conséquent, erronées.
Le Zouave fait aujourd'hui partie intégrante de la culture française. Plusieurs chansons l'évoquent, telles que Les Ricochets de Georges Brassens ou Le Zouave de Stanislas. Il a également fait son entrée dans la littérature en 2001 dans le roman de Roger Bordier, Le Zouave du Pont de l'Alma. Le mot Zouave a également été rendu célèbre par le capitaine Haddock et ses fameux jurons dans Objectif Lune, Le crabe aux pinces d'or ou encore L'affaire Tournesol.
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New York, 1932. La richissime famille Rockefeller se porte bien, malgré la crise qui frappe le reste du pays. Elle a même entamé la construction d’un immense complexe commercial dans les quartiers luxueux.
Pour décorer ce temple du capitalisme, les Rockefeller réclament les meilleurs : Picasso et Matisse. Mais devant leur refus, Nelson Rockefeller se reporte sur un artiste apprécié par sa mère : le mexicain Diego Rivera, peintre et communiste !
Samuel Gottscho, vue du Rockefeller Center, 5 décembre 1933, Bibliothèque du Congrès, Washington.
Rockefeller connait bien les opinions politiques de Rivera. Mais lorsque la fresque est révélée, c’est tout de même un choc : la peinture est clairement militante !
Diego Rivera, L'Homme, contrôleur de l'univers, variante de la fresque du Rockefeller Center "L'Homme à la croisée des chemins", vers 1933, Palais des beaux-arts, Mexico City
Dans un style foisonnant et monumental, il oppose deux mondes. L’un capitaliste, représenté par des femmes débauchées dans une boîte de nuit et des scènes de guerre effroyables.
Diego Rivera, L’Homme, contrôleur de l’univers, variante de la fresque du Rockefeller Center « L’Homme à la croisée des chemins », vers 1933, Palais des beaux-arts, Mexico City, détail de l’œuvre.
L’autre communiste, évoqué par des femmes sportives et la figure de Lénine.
C’en est trop pour les Rockefeller, scandalisés de cette apologie du communisme ! Ils ordonnent la destruction de l’œuvre. Il n’en reste désormais que des photographies… ou presque.Diego Rivera, L'Homme, contrôleur de l'univers, variante de la fresque du Rockefeller Center "L'Homme à la croisée des chemins", vers 1933, Palais des beaux-arts, Mexico City, détail de l'œuvre.
Car Diego Rivera ne se laisse pas abattre. Il décide au contraire de recréer l’œuvre à Mexico. On retrouve le même thème, la même composition, les mêmes couleurs… mais quelques nouveautés sont venues se glisser dans la nouvelle fresque.
Diego Rivera, L'Homme, contrôleur de l'univers, variante de la fresque du Rockefeller Center "L'Homme à la croisée des chemins", vers 1933, Palais des beaux-arts, Mexico City
En plus de Lénine, les autres grandes figures du communisme Trotski, Engels et Marx se sont insérées dans la peinture. Et ce n’est pas tout. Dernière vengeance : Diego Rivera intègre, dans la boîte de nuit, un portrait du père de Nelson, John D. Rockefeller Jr !
Portrait de John D. Rockefeller Jr et son portrait dans la fresque de Diego Rivera
Anonyme, Diego Rivera devant une reproduction en miniature de "L'Homme à la croisée des chemins" au Rockefeller Center, Musée Frida Khalo, Mexico City
Article tiré d’Artips
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En 1906, Le Figaro relate dans ses colonnes le dramatique tremblement de terre de San Francisco. Les premiers bilans évoquent 1000 morts et des milliers de maisons effondrées.
Dans son édition du 19 avril 1906, Le Figaro consacre un grand article à la catastrophe qui touche l’ouest des États-Unis. «Après le mont Pelé, qui s’est réveillé au début de l’année, et la terrible éruption du Vésuve, après les deux tremblements de terre de l’Amérique centrale et de Formose, dont le dernier remonte seulement à quelques jours, voici le tour de la côte du Pacifique des États-Unis, écrit le quotidien. San Francisco et Sacramento, en Californie, ont été dévastées hier matin par un tremblement de terre.»
Très rapidement, la catastrophe apparaît d’une ampleur majeure. «L’administration des postes reçoit de Los Angeles une information disant que le tremblement de terre de San Francisco a duré trois minutes, qu’un millier de personnes ont péri et que plusieurs milliers de maisons se sont effondrées ou ont été endommagées, peut-on lire. Une autre dépêche de San Francisco dit que la ville est virtuellement détruite.»
Une catastrophe survenue de nuit
Reprenant plusieurs dépêches, Le Figaro tente de préciser l’étendue des dégâts et des pertes humaines. «Le tremblement de terre a coupé les canalisations de gaz et d’eau. L’incendie gagne du terrain le long de Market Street. L’hôtel de ville, qui a coûté 7 millions de dollars, est en ruines. Les bâtiments modernes ont moins souffert que ceux faits en briques et en charpentes.»
Circonstance aggravante, la catastrophe est survenue de nuit. «La terreur et l’émotion sont indescriptibles, précise Le Figaro. La plupart des habitants de la ville étaient endormis au moment de la secousse de tremblement de terre. Ils se sont précipités dans les rues, en chemise. On a vu des édifices trembler, vaciller et tomber avec grand fracas. Dans beaucoup de cas, les habitants ont été ensevelis sous les décombres.»
Et après les ravages du tremblement de terre, viennent ceux des incendies et des pillards. «De grands dégâts ont été causés par le feu, depuis le bâtiment du Post Office jusqu’au quai qui fait face à la mer, et aussi à l’est et au sud du bâtiment du Post Office. Comme l’eau manque, on fait sauter les maisons afin d’arrêter la marche des flammes.» Comme l’explique le journal: «Toutes les conduites de gaz avaient sauté, et des explosions allumaient des incendies sur différents points de la ville, incendies qui se propageaient avec une rapidité d’autant plus foudroyante que les conduites d’eau étaient également rompues et que l’on ne pouvait combattre le fléau.»
Exécution des pillards
«Tous les cafés sont fermés. Les banques sont également fermées, précise le quotidien. Des détachements de la milice font des patrouilles dans les rues. Elles ont reçu l’ordre de faire feu sur toute personne surprise en train de piller les ruines.» À mesure que le bilan s’alourdit, la fin de l’article souligne: «On annonce maintenant que le chiffre des morts atteindra plusieurs milliers. Quant aux pertes matérielles on les évalue à 200 millions de dollars, soit un milliard de francs.»
Au final, le bilan réel généralement accepté serait d’au moins 3000 morts. Entre 225.000 et 300.000 personnes se retrouvèrent sans toit sur environ 400 000 habitants, dans une ville détruite à 80%. Le séisme provoqua une prise de conscience du danger sismique en Californie et la recherche en la matière progressa grandement.
Film amateur d’époque (Prelinger Archives)
https://commons.wikimedia.org/w/index.php?title=File%3ASan_Francisco_Earthquake_Damage.webm
Article paru dans Le Figaro
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